Pressions internationales croissantes
Brazzaville suit de près les évaluations du Groupe d’action financière, organe scrutant la capacité des États à contrer les flux illicites. Rester hors de la liste grise demeure essentiel pour l’attractivité du pays et la confiance des investisseurs.
Dans ce contexte de vigilance accrue, banques, assurances et opérateurs télécoms adaptent leurs contrôles. Les autorités monétaires ont déjà renforcé la déclaration d’opérations suspectes, mais des experts jugent qu’une vision synthétique des risques manque encore.
Le plaidoyer d’Isaac Gervais Onghabat
Directeur des Risques et Contrôles à la direction générale du Contrôle d’État, Isaac Gervais Onghabat s’invite dans le débat avec une contribution remarquée. Son article, paru début avril, appelle à un saut qualitatif : bâtir une cartographie nationale des risques de blanchiment.
« Notre appareil préventif doit disposer d’un tableau de bord partagé », résume-t-il lors d’une conférence à la Chambre de commerce. Pour ce spécialiste certifié ISO 31000, la centralisation des données réduira les angles morts et accélérera les réponses.
Pourquoi une cartographie nationale
L’approche par les risques, consacrée par la Recommandation 1 du GAFI, implique d’identifier les zones de vulnérabilité avant d’allouer les ressources. Une carte détaillée permettrait de hiérarchiser les secteurs à surveiller, du change informel aux nouvelles plateformes de paiement mobile.
Le document servirait de référence unique pour les ministères, la Banque centrale, la Cellule de renseignements financiers et les tribunaux. Chaque entité verrait son niveau d’exposition et les indicateurs de suivi, évitant doublons et divergences réglementaires.
Méthodologie inspirée du GAFI
Le projet s’appuierait sur les matrices de risques déjà utilisées dans la CEMAC par le GABAC. Les critères combinent fréquence des transactions, volumes, parts de cash et liens frontaliers. Les secteurs seraient classés de « faible » à « critique ».
Onghabat préconise un comité multisectoriel restreint, placé sous l’autorité du ministère des Finances, pour piloter l’exercice. Des ateliers, associant forces de l’ordre, régulateurs et opérateurs privés, permettraient de collecter les données primaires et d’attribuer des scores consensuels à chaque segment.
Une fois validée, la cartographie ferait l’objet d’une mise à jour annuelle. Le numérique jouera un rôle clé : tableaux interactifs, alertes automatiques et interface ouverte aux régulateurs provinciaux offriraient une lecture quasi temps réel de l’évolution des menaces.
Défis et ressources locales
Le chantier exige cependant des données fiables. « Le recueil d’informations hors circuit bancaire reste le maillon faible », souligne un cadre de la BEAC. Les opérateurs du marché informel redoutent encore les démarches administratives et la divulgation de leurs chiffres.
Le ministère de l’Économie mobilise déjà une assistance technique de la Banque mondiale pour fiabiliser les statistiques. Un budget initial de deux milliards de francs CFA servira à la formation et au développement de la plate-forme informatique.
Autre défi : la coordination interservices. Polices spécialisées, douanes, justice et régulateurs sectoriels devront partager des données jusqu’ici cloisonnées. La circulaire interministérielle attendue au second semestre précisera les obligations de remontée d’informations et la protection des renseignements confidentiels.
Vers une coopération régionale accrue
Brazzaville ambitionne également d’exporter son futur modèle. Lors du dernier comité ministériel CEMAC tenu à Malabo, la délégation congolaise a proposé un partage de bonnes pratiques afin de bâtir, à terme, une cartographie sous-régionale harmonisée.
Une telle convergence faciliterait le suivi des flux transfrontaliers, souvent utilisés pour brouiller la trace des capitaux illicites. Les partenaires ont salué l’initiative, y voyant un moyen d’accroître la sécurité financière et de stimuler l’intégration économique.
Un cadre juridique déjà renforcé
La loi n° 9-22 du 11 mars 2022 a actualisé la définition des infractions de blanchiment, introduit des peines plus dissuasives et inscrit l’obligation de vigilance renforcée pour les professions non financières désignées, comme les agents immobiliers ou les casinos.
Les tribunaux peuvent désormais confisquer les avoirs détournés avant même le jugement, mesure saluée par le barreau comme par les ONG de transparence. La cartographie nationale agira comme appui technique de ce cadre légal en orientant les enquêtes et les contrôles.
Quel bénéfice pour l’économie réelle ?
Limitation des fuites de capitaux, baisse du coût du crédit, attractivité accrue pour les investisseurs étrangers : les effets attendus dépassent la seule conformité. Selon un économiste de l’Université Marien-Ngouabi, chaque point de progrès sur l’indice GAFI pourrait libérer 0,3 % de croissance.
Le secteur privé applaudit. La Fédération des entreprises du Congo estime que la prévisibilité réglementaire issue de la cartographie réduira les retards bancaires. « Nous pourrons concentrer nos efforts de due-diligence sur les transactions réellement sensibles », explique son vice-président Guy M. Batéké.
Prochaines étapes
Le projet de décret instituant le comité national de maîtrise des risques est en arbitrage gouvernemental. Parallèlement, la direction du Contrôle d’État finalise le cahier des charges avec des consultants camerounais et marocains experts en gouvernance financière.
Si la feuille de route est respectée, un premier aperçu de la cartographie sera présenté au Forum économie-finances de décembre à Brazzaville. Parties prenantes et investisseurs y voient déjà un jalon décisif pour la crédibilité financière nationale.