Un projet bancaire qui change la donne
Annoncé comme un tournant, le projet de Banque africaine de l’énergie, porté par l’African Export-Import Bank et l’Organisation des producteurs de pétrole africains, avance à grands pas. Les deux institutions confirment maintenir le cap sur une mise en service effective au premier semestre 2026.
Dans un marché où l’accès aux capitaux devient plus difficile pour les activités pétrolières et gazières, la nouvelle banque promet des solutions de financement adaptées aux réalités africaines, tout en réservant une enveloppe significative aux projets d’énergies renouvelables stratégiques.
Capitalisation et structure en trois niveaux
Prévue avec un capital initial de cinq milliards de dollars, la banque repose sur une architecture à trois piliers : les États membres d’APPO, d’autres pays africains et leurs compagnies nationales, puis un troisième niveau ouvert aux investisseurs individuels ou institutionnels du continent et d’ailleurs.
Selon un document interne consulté par plusieurs médias financiers, 44 % du ticket minimum exigé est déjà sécurisé. Le Nigeria, l’Angola et le Ghana ont libéré intégralement leurs parts. L’Algérie, le Bénin, la République du Congo, la Guinée équatoriale et la Côte d’Ivoire finalisent leurs procédures.
Les engagements des États membres s’accélèrent
À Brazzaville, le ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean-Richard Itoua, souligne que « la participation congolaise témoigne d’une vision régionale assumée ». Le pays prévoit de mobiliser une partie de ses excédents pétroliers pour honorer son engagement.
Abuja choisie pour le siège
Le siège social sera établi à Abuja après une mise en concurrence discrète de plusieurs capitales. Le gouvernement nigérian a déjà versé cent millions de dollars, un geste salué par Afreximbank, qui y voit « un signal de confiance envoyé aux bailleurs émergents ».
D’après le calendrier validé fin juillet 2025 par le Conseil exécutif d’APPO, le dossier sera transmis pour approbation définitive au quatrième trimestre. Les équipes de PricewaterhouseCoopers, recrutées comme maîtres d’œuvre, peaufinent les manuels de gouvernance et les procédures de conformité.
Des instruments financiers innovants
Plus qu’une simple banque, l’AEB veut devenir une plateforme facilitant la syndication de prêts, la titrisation d’actifs et même l’émission de garanties souveraines partielles, autant de leviers conçus pour réduire la prime de risque appliquée historiquement aux projets africains.
L’objectif affiché est d’atteindre un portefeuille d’actifs de cent vingt milliards de dollars d’ici dix ans. Selon la vice-présidente d’Afreximbank en charge du développement, Kanayo Awani, cela « répondra à un déficit d’investissement estimé à cinquante milliards par an ».
Combler le déficit énergétique du continent
L’impact potentiel dépasse la sphère pétrolière. En finançant les gazoducs régionaux, les terminaux GNL et les fermes solaires hybrides, la banque entend rapprocher l’électricité moderne des 600 millions d’Africains qui en sont encore privés, selon les chiffres de la Banque mondiale.
Pour le Congo-Brazzaville, l’AEB pourrait accélérer la valorisation du gaz associé, ressource clé du gisement de Moho Nord. Un responsable de la SNPC note que « le financement local réduira les délais de décision et favorisera l’emploi de sous-traitants nationaux ».
Gouvernance et rigueur opérationnelle
Des analystes avertissent toutefois que la réussite dépendra d’une rigueur absolue dans la sélection des projets. L’expérience de certains fonds panafricains montre qu’un accompagnement technique insuffisant peut ralentir les décaissements. Afreximbank affirme avoir intégré ces retours en imposant des critères ESG stricts.
En internalisant la finance énergétique, plusieurs gouvernements y voient un moyen de réduire l’exposition aux fluctuations géopolitiques. « Cela va limiter notre dépendance aux marchés européens en période de stress », confie un diplomate d’Afrique centrale, en marge d’un forum organisé récemment à Pointe-Noire.
Concilier développement et impératif climatique
La banque devra aussi concilier les exigences climatiques. Le président d’APPO, Omar Farouk Ibrahim, rappelle que « le continent émet moins de quatre pour cent des gaz à effet de serre mondiaux, mais porte la contrainte de se développer proprement ».
Calendrier de nomination et digitalisation
Les prochains mois verront l’ouverture du processus de sélection du directeur général. Des profils issus des institutions de Bretton Woods et des majors pétrolières sont évoqués. Le choix final sera ratifié par les actionnaires lors d’une assemblée prévue à Luanda.
Le chantier technologique n’est pas négligé. Une plateforme numérique de dépôt de dossiers sera lancée pour écourter les délais. « Nous voulons que l’entrepreneur de Pointe-Noire ou de Ouagadougou puisse suivre sa demande en temps réel », assure un cadre d’Afreximbank.
Attrait croissant des investisseurs privés
Côté investisseurs privés, les premiers roadshows virtuels ont suscité l’intérêt d’assureurs africains et de fonds souverains du Golfe. Les discussions portent sur des participations de long terme assorties de rendements indexés sur l’inflation, un mécanisme jugé attrayant dans le contexte actuel.
La possibilité, à moyen terme, d’émettre des obligations vertes ou « transition » figure aussi à l’agenda. Plusieurs bourses africaines ont déjà proposé leurs marchés, et la CEMAC étudie un passeport réglementaire qui faciliterait la cotation simultanée de ces titres stratégiques.
Perspectives pour l’Afrique centrale
En attendant, la Banque africaine de l’énergie continue de cristalliser un optimisme prudent dans les couloirs de Brazzaville. Si toutes les étapes se déroulent comme prévu, les premiers décaissements pourraient soutenir dès 2026 des projets essentiels à l’intégration énergétique du continent.