Une distinction qui illumine le slam congolais
La remise du grade de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite à Maruisca, le 15 août 2025, lors des festivités du 65e anniversaire de l’indépendance, fut saluée par une standing ovation au Palais du Peuple de Brazzaville, symbole vibrant d’une scène artistique en pleine effervescence depuis des années.
La distinction, annoncée par un décret présidentiel lu en session solennelle, ancre désormais la slameuse dans le panthéon national aux côtés des figures ayant marqué les lettres, les sciences et le sport, rappelant que la parole poétique est, elle aussi, un patrimoine stratégique pour la République congolaise africaine.
Devant la presse, Maruisca a confié voir dans ce moment « un encouragement adressé à toute la jeunesse créative », insistant sur la responsabilité collective d’amplifier des messages d’unité, de paix et de développement par des rimes accessibles, déclamées tant sur les places publiques que dans les studios numériques modernes.
Parcours artistique de douze ans d’engagement
Née à Moungali en 1992, celle qui signe « Slamourail » découvre les scènes ouvertes au lycée Chaminade avant de remporter, en 2013, la première édition du concours « Paroles Urbaines » organisé par l’Institut français, point de départ d’un itinéraire fait de tournées régionales et panafricaines durables riches en rencontres formatrices.
Au fil des spectacles, son verbe oscille entre créole, français et lingala, témoignant d’une urbanité multilingue propre à Brazzaville, ville traversée par les sonorités du fleuve et des quartiers populaires où la parole rythmée sert souvent de chroniques instantanées sur l’inflation, l’emploi ou la vie nocturne locales tendances.
En 2017, elle lance le Festival international Slamouv pour structurer la discipline, attirer des coachs reconnus comme la Sénégalaise Moon et créer des ateliers d’écriture dans des écoles publiques, démarche saluée par le ministère de l’Éducation qui y voit un complément pertinent aux programmes d’expression orale des élèves.
Slam et impact social auprès de la jeunesse
Le slam, selon elle, devient un catalyseur d’opinions, capable d’aborder la prévention sanitaire, la protection de l’environnement ou l’égalité des genres sans verser dans l’énoncé didactique, grâce à la musicalité parlée qui attire, selon l’UNESCO, de plus en plus de jeunes lecteurs en Afrique centrale chaque année supplémentaire.
Des textes comme « Fleuve Congo » ou « Visa d’espoir » sont utilisés par certaines ONG locales lors de campagnes citoyennes, preuve tangible qu’une strophe bien scandée peut renforcer la sensibilisation là où des affiches classiques peinent parfois à maintenir l’attention dans l’espace urbain dense et traversé par diverses sollicitations visuelles.
Pour la sociologue Christelle Ngoma, « le mérite de Maruisca est d’avoir transformé un art de niche en medium public », en s’assurant que les scènes délocalisées jusque dans les gares routières restent gratuites, afin de briser la barrière financière qui limite souvent l’accès à la culture pour tous publics.
Un soutien institutionnel pour la création
Le choix du chef de l’État de décorer la poétesse rappelle la directive gouvernementale sur les industries culturelles, adoptée en 2021, qui encourage le financement participatif, la fiscalité incitative et la modernisation des espaces scéniques, trois leviers évoqués par le Premier ministre lors de la dernière session budgétaire.
L’intervention conjointe des ministères de la Femme et des Industries culturelles, cités par l’artiste, illustre une approche transversale où l’égalité des chances rejoint la diplomatie culturelle, Brazzaville aspirant à devenir, selon la ministre Lydie Pongault, « une capitale créative attractive pour la sous-région » dans les prochaines années de coopération.
D’autres lauréats, tel le chorégraphe Gervais Tomadiatounga, honoré parallèlement pour son travail au FESPAM 2023, montrent la volonté de célébrer des disciplines complémentaires afin de tisser un récit national pluraliste, susceptible de mobiliser partenaires institutionnels, diasporas et investisseurs privés autour de festivals pérennes dans la région CEMAC élargie.
Perspectives et nouveaux projets de l’artiste
Maruisca prépare déjà un album numérique, enregistré au studio Mbounda City, annoncé pour décembre, mêlant spoken word et afrobeats, une alliance qui vise les plateformes de streaming où la diaspora congolaise, selon la société Believe, représente près de 40 % des écoutes mensuelles d’artistes locaux dans le monde entier.
Sur les réseaux sociaux, l’annonce de la décoration a généré plus de quarante mille interactions en vingt-quatre heures, selon le cabinet d’analyse Data243, preuve d’un attachement du public urbain à des parcours féminins inspirants dans un milieu culturel historiquement dominé par des voix masculines à Brazzaville et Kinshasa.
Les enseignants du Centre national d’art dramatique envisagent d’introduire certains de ses textes dans le module « Oralité contemporaine », proposition actuellement étudiée pour la rentrée prochaine, ce qui formaliserait une passerelle entre la scène et l’académie, consolidant le statut du slam comme discipline à part entière au Congo Brazzaville.
Si la reconnaissance nationale confère un prestige certain, l’artiste rappelle que le défi demeure la professionnalisation, via la protection des droits d’auteur, la formation technique et la création de circuits de tournée, conditions essentielles pour que chaque rime née à Brazzaville résonne sur les grandes scènes africaines.