Un dossier vieux de cinq décennies
Sous le soleil de Poto-Poto, l’histoire d’un terrain discret suscitait depuis plus de cinquante ans la curiosité des juristes et des riverains. Sur moins de mille mètres carrés, deux visions du droit se faisaient face, impliquant une chancellerie étrangère et une citoyenne brazzavilloise.
Dès 1971, un acte notarié attestait la cession du lot numéro 97, section 0, à la République de Bulgarie. Pourtant, plusieurs décennies plus tard, Gisèle Ngoma affirmait tenir un titre régulièrement enregistré, déclenchant une série de procédures, d’appels et de recours au cœur du palais de justice.
Au fil des audiences, le dossier a capté l’attention des médias urbains, révélant la délicate articulation entre diplomatie et droit domanial. Un avocat proche du dossier confiait récemment que ce litige constituait « l’un des cas d’école les plus emblématiques de la propriété bâtie à Brazzaville ».
Le rôle déterminant des juridictions congolaises
En décembre 2024, la Cour d’appel confirma la primauté du titre bulgare, rappelant que la vente authentifiée par Me Roger Gnali Gomes avait produit, dès son inscription, un effet translatif irréversible. Pour le magistrat président, « la sécurité foncière commande de s’en tenir aux archives ».
Malgré cet arrêt, la partie défenderesse introduisit un pourvoi, invoquant notamment la protection des droits fondamentaux. La Cour suprême, saisie en formation plénière, a examiné la compétence, la régularité de la procédure et la conformité aux textes, avant de rendre sa décision qualifiée d’« ultime ».
L’arrêt rendu ce mois scelle définitivement la cause. Non susceptible de recours, il ordonne aussi l’expulsion des occupants et maintient l’astreinte journalière de cinq cent mille francs CFA. Les spécialistes voient dans cette position ferme un signal de stabilité pour les investisseurs étrangers.
Une lecture juridique sans équivoque
À la barre, les conseils de l’ambassade ont rappelé le principe de l’intangibilité du titre foncier. Selon eux, seul un acte d’acquisition incontestable, répertorié par le service du cadastre, peut primer. « Le droit écrit prévaut sur toute transaction privée ultérieure », arguait Me Félicien Obili.
Pour la défense, maître Mireille Okouba plaida l’erreur matérielle et demanda la compensation des investissements réalisés sur la parcelle. La haute juridiction a toutefois considéré que la bonne foi ne peut supplanter la légalité sans mise en cause du contrat initial, estimé, dans le jugement, « intangible ».
Le professeur Didier Ossiala, constitutionnaliste, souligne que cette ordonnance « conforte la hiérarchie des normes et rassure les partenaires bilatéraux ». À ses yeux, l’affaire rappelle l’impératif d’enregistrer sans délai tout transfert de propriété pour éviter la coexistence, ensuite conflictuelle, de titres parallèles.
Réactions diplomatiques et apaisement urbain
Dans un communiqué laconique, l’ambassade de Bulgarie s’est félicitée du « respect continu des engagements internationaux du Congo ». Aucune demande d’indemnisation supplémentaire n’est annoncée, la représentation préférant évoquer « un climat propice à la coopération culturelle et économique entre Brazzaville et Sofia ».
Côté congolais, le ministère des Affaires étrangères salue « la maturité des institutions » et relie la décision au programme gouvernemental sur la modernisation du cadastre. Un haut cadre rappelle que la numérisation des archives foncières, engagée l’an passé, « rendra ces litiges quasiment impossibles à l’avenir ».
Dans le quartier La Poste, des habitants espèrent un dénouement rapide sur le terrain même, encore occupé par des proches de Mme Ngoma. « Nous voulons la sécurité, pas les escarmouches », glisse un commerçant, confiant que la présence policière dissuade toute nouvelle tentative de reprise.
Des enseignements pour le marché foncier local
Les urbains scrutent désormais cette jurisprudence comme un repère. Pour le notaire Luc Kimbembé, elle montre « l’importance de répertorier chaque transaction dans les 30 jours ». Selon lui, l’essor des plateformes électroniques du cadastre réduira les marches administratives et limitera les interprétations contradictoires.
L’affaire rappelle aussi la nécessité de sensibiliser le grand public aux rudiments du droit foncier. Des ONG locales envisagent des campagnes d’information dans les mairies d’arrondissement. Brazzaville connaît une pression immobilière croissante, et des tracasseries similaires pourraient surgir sur d’autres parcelles stratégiques du centre-ville.
Au-delà, le cas Ngoma-Bulgarie ouvre un débat sur la conciliation. Certains juristes suggèrent des mécanismes de médiation préalable avant toute judiciarisation. « Cela éviterait d’encombrer les rôles et d’exposer inutilement les familles », insiste maître Arsène Okombi, membre de l’Ordre national des avocats.
Pour l’heure, la sentence nourrit un message clair : la transparence notariale et l’autorité de la Cour suprême demeurent les garants de la paix sociale. Dans un contexte économique axé sur la diversification, la sécurité foncière constitue, selon plusieurs analystes, « un préalable à toute relance durable ».
Une page tournée pour le quartier La Poste
Les autorités municipales prévoient désormais d’accompagner la régularisation par un réaménagement urbain. Un responsable de l’arrondissement deux évoque la pose prochaine d’un panneau officiel, précisant l’affectation diplomatique du terrain et « dissuadant toute spéculation future qui pourrait troubler l’ordre public dans ce secteur dense et très couru des jeunes ».
Sur le plan macroéconomique, l’affaire rappelle surtout la nécessité d’un climat judiciaire lisible pour attirer les capitaux. D’après le cabinet AfriTrends, la régularité foncière peut augmenter de 15 % la valeur d’un investissement immobilier. Brazzaville, qui ambitionne un statut de hub, en prend note.