Braquage fatal dans le 8e arrondissement
Il est un peu plus de 22 heures, ce 18 août, lorsque des cris résonnent dans la rue sableuse de Mayanga, à Madibou. Un jeune homme, présenté comme membre des redoutés «bébés noirs», vient d’être maîtrisé par un groupe d’habitants exaspérés.
Depuis plusieurs semaines, vols à l’arraché et braquages nocturnes ébranlaient ce secteur résidentiel. La rumeur prêtait au suspect une série d’effractions violentes. La découverte d’objets volés dans une maison inachevée, qu’il occupait, a fait basculer l’indignation collective vers un acte de vengeance extrême.
Les témoins racontent une scène rapide. À l’aide de pneus imbibés d’essence, plusieurs jeunes ont mis le feu au présumé cambrioleur, sous les yeux d’une foule compacte. Les pompiers, avertis trop tard, n’ont pu que constater le décès et éteindre les braises fumantes.
Colère populaire et justice expéditive
Présenté comme une vengeance collective, le drame révèle une colère latente face à l’insécurité. «Nous sommes à bout de souffle», confie une riveraine, tandis qu’un autre habitant estime «n’avoir plus confiance qu’en la force du nombre». Des propos qui illustrent l’usure d’un quartier traumatisé.
La multiplication d’actes d’autodéfense soulève pourtant des inquiétudes chez plusieurs juristes. Me Paul Kangou rappelle que «la Constitution garantit le droit à la vie et confie la répression du crime à l’État». Il redoute qu’un sentiment d’impunité populaire crée un cycle incontrôlable de violences et de possibles erreurs judiciaires.
Le phénomène des «bébés noirs», bandes de mineurs parfois très violents, s’est développé dans certains quartiers périphériques. Sociologues et éducateurs pointent une combinaison de chômage, déscolarisation et consommation de stupéfiants. Ces facteurs nourrissent un climat où la peur devient, pour certains, une justification à l’irrémédiable de la sanction.
Les autorités appellent au calme
Sitôt informée, la mairie de Madibou a condamné le lynchage et appelé au respect des procédures judiciaires. Le chef du quartier, Emmanuel Bounzeki, a rappelé que «nul n’a le droit de se substituer aux tribunaux». Il encourage les habitants à signaler tout suspect immédiatement aux forces publiques.
Le commandement départemental de la police a, de son côté, dépêché des patrouilles supplémentaires. Selon le commissaire Alain Mavoungou, «le rôle des forces de l’ordre est d’intercepter les délinquants et de protéger la population». Il invite chacun à coopérer plutôt qu’à se venger dans l’urgence.
Au niveau national, le ministère de l’Intérieur souligne que le Programme de modernisation de la police, lancé en 2022, prévoit l’installation de caméras de surveillance et la création d’un numéro vert d’alerte. L’objectif affiché est de raccourcir le temps d’intervention et de restaurer la confiance citoyenne.
Les défis de la sécurité urbaine
Brazzaville, comme beaucoup de capitales africaines, connaît une urbanisation rapide qui fragilise les dispositifs de sécurité traditionnels. La poussée démographique dans les périphéries rend plus complexe le maillage policier. Les brigades territoriales doivent couvrir de vastes zones où routes et éclairage public restent parfois défaillants la nuit tombée.
D’après l’Institut national de la statistique, près de 60 pour cent des habitants de moins de 25 ans sont sans emploi formel. Cette pression démographique alimente un vivier de petites délinquances, réagence les relations sociales et teste la réactivité des services publics chargés de la protection des citoyens.
Former pour prévenir la délinquance
Pour casser la spirale, le chef de quartier Bounzeki propose des centres de formation professionnelle ouverts sept jours sur sept. Maçonnerie, mécanique et numérique figureraient au programme. «Une jeunesse occupée par le travail est moins dangereuse», insiste-t-il, évoquant l’appui attendu d’organismes internationaux et partenaires privés.
Le ministère de la Jeunesse rappelle l’existence du Fonds national d’appui à l’employabilité des jeunes, doté de trois milliards de francs CFA. Plusieurs cohortes bénéficient déjà de stages rémunérés. Le défi consiste désormais à cibler les poches à risque et à accélérer l’accès aux kits d’installation professionnelle.
Vers une coopération population-police
Spécialiste de la sécurité communautaire, le chercheur Alphonse Milandou assure que «les solutions viennent lorsque citoyens et policiers se parlent». Il propose la création de comités de vigilance mixtes, encadrés légalement, afin de recueillir les plaintes et transmettre, en temps réel, des informations fiables aux enquêteurs.
À Mayanga, une réunion publique est annoncée pour la fin du mois. Objectif affiché : rétablir le dialogue, définir un plan d’éclairage des ruelles et identifier les parcelles abandonnées servant de repaires. La présence de la gendarmerie aux abords des écoles fait également partie des pistes de sécurisation.
Les habitants de Mayanga espèrent que cette tragédie marquera un tournant. Leur souhait : que la peur cède la place à la coopération, et que la justice, rendue dans les tribunaux, retrouve l’efficacité nécessaire pour que plus personne ne songe à reprendre le flambeau vengeur.
Dans un contexte où les réseaux sociaux amplifient chaque fait divers, l’affaire Mayanga rappelle que la violence spectaculaire reste un symptôme, pas un remède. À Brazzaville, l’équation sécurité, justice et inclusion demeure ouverte pour tous.