Une décennie à la tête de la diplomatie
Depuis le 22 août 2015, Jean-Claude Gakosso dirige le ministère des Affaires étrangères, de la Francophonie et des Congolais de l’étranger. À l’heure où le pays s’apprête à célébrer le soixante-cinquième anniversaire de son indépendance, il dresse pour la presse un bilan dense et revendique « dix ans d’ouverture maîtrisée ».
Le chef de la diplomatie rappelle que le Congo n’entretient « aucun contentieux » avec un État, signe, selon lui, d’une ligne de dialogue constante. Ce choix s’inscrit dans la tradition brazzavilloise de neutralité constructive, déjà saluée par plusieurs partenaires africains et internationaux.
Neutralité active et partenariats élargis
Ces dix dernières années, Brazzaville a renforcé ses liens avec Pékin, Moscou, Doha, Ankara ou Brasilia tout en consolidant sa relation historique avec Paris et en maintenant un canal régulier avec Washington. Pour le ministre, « parler à tout le monde » demeure la clef d’une influence mesurée.
Le choix de multiplier les axes de coopération se lit dans les chiffres : investissements chinois dans les infrastructures, expertise turque dans le BTP, bourses de formation offertes par le Qatar, programmes éducatifs brésiliens, relance du commerce avec la France. L’objectif affiché est d’optimiser chaque partenariat sans exclusive.
Pour de jeunes entrepreneurs brazzavillois, cette stratégie commence à porter. « La diversification des marchés facilite nos exportations de services numériques », confie Tania Nguimbi, fondatrice d’une start-up installée au quartier Plateau. Les récentes missions économiques mixtes vers Istanbul et Shenzhen ont renforcé cet enthousiasme prudent.
La médiation libyenne, marqueur de Brazzaville
La crise libyenne a constitué le dossier le plus complexe de la décennie. Mandaté par l’Union africaine, le président Denis Sassou Nguesso a conduit plus d’une dizaine de réunions tripartites à Brazzaville, à Tunis puis à Alger, mobilisant chefs tribaux, représentants onusiens et chancelleries régionales.
« La Libye est largement pacifiée ; on circule désormais de Benghazi à Tripoli », assure le ministre. Si le processus reste fragile, plusieurs analystes jugent que le rôle de facilitateur joué par Brazzaville a pesé, la diplomatie congolaise s’appuyant sur un crédit historique d’État non aligné.
Francophonie et diaspora, des atouts cultivés
Moins visible, le volet francophonie demeure central. Le Congo abritera en 2027 la Conférence ministérielle de la Francophonie, occasion de promouvoir la langue comme levier économique. « La francophonie ne se résume pas à la culture, c’est aussi un marché commun de 300 millions de locuteurs », rappelle Gakosso.
La diaspora figure aussi au cœur de la feuille de route. Les transferts des Congolais de l’étranger ont atteint 400 millions de dollars en 2024, selon la Banque mondiale, soit 15 % de plus qu’en 2023. Un futur guichet unique simplifiera la création d’entreprises pour ceux qui rentrent.
Zlecaf, multilatéralisme et rôle africain
Sur le volet panafricain, Brazzaville a été parmi les premiers à ratifier la Zone de libre-échange continentale. Les autorités voient dans la Zlecaf une chance d’élargir l’hinterland portuaire de Pointe-Noire vers l’Afrique centrale et australe, renforçant ainsi la vocation de hub logistique du pays.
Dans un contexte géopolitique mouvant, le ministre défend le multilatéralisme onusien. « L’ONU reste l’expression de l’humanisme », dit-il, appelant au respect égal des souverainetés. Ce plaidoyer a valu au Congo de coprésider, en 2023, le Comité spécial sur la réforme du Conseil de sécurité.
Moderniser le service extérieur
La signature des décrets de 2025 revalorisant le statut des diplomates constitue un autre jalon. Le texte rehausse salaires, indemnités de risque et primes de représentation. « Nos agents servent souvent dans des zones instables ; cette mesure reconnaît leur dévouement », se félicite Esther Okemba, directrice des ressources humaines du ministère.
L’ambition est également institutionnelle : achever d’ici 2026 la digitalisation complète des services consulaires. Passeports biométriques, visas électroniques et authentification en ligne devraient réduire délais et déplacements pour les usagers, notamment les étudiants installés à Casablanca, Johannesburg ou Paris.
Perspectives à l’horizon 2030
Interrogé sur son avenir personnel, Jean-Claude Gakosso répond par la modestie. « Je m’incline devant la Nation », insiste-t-il, réaffirmant sa loyauté au président Denis Sassou Nguesso. En ligne de mire, toutefois, se profilent la préparation de la Zlecaf et la candidature congolaise au Conseil des droits de l’homme.
Les analystes estiment que la stabilité institutionnelle reste la condition première pour consolider les avancées obtenues. Le climat d’affaires, encore freiné par des coûts logistiques élevés, pourrait bénéficier des corridors routiers en chantier avec le Cameroun et la République démocratique du Congo.
Sur le plan intérieur, les attentes sociales demeurent fortes, notamment parmi la jeunesse urbaine qui scrute l’impact concret de la diplomatie sur l’emploi. Les autorités misent sur les retombées de zones économiques spéciales et des partenariats de formation pour transformer ces attentes en opportunités tangibles.
À l’approche de 2030, la politique étrangère congolaise se veut donc à la fois prudente et ambitieuse : consolider la paix régionale, attirer des capitaux diversifiés et offrir à sa jeunesse un horizon ouvert. C’est ce fil conducteur que Jean-Claude Gakosso revendique pour sa seconde décennie.