Brazzaville face aux Kuluna 2.0
Ces derniers mois, les réseaux sociaux brazzavillois bruissent de vidéos montrant des bandes armées de machettes, baptisées Kuluna, s’aventurant même à l’heure de pointe sur les grandes artères du centre-ville.
Si le terme désignait autrefois de jeunes marginaux de quartiers périphériques, il recouvre désormais une mosaïque d’individus déterminés, parfois diplômés, qui se déplacent en groupes structurés dans plusieurs arrondissements.
Les chiffres officiels évoquent une hausse modérée des agressions signalées, mais les habitants interrogés dans les marchés de Moungali parlent d’une violence plus visible, accentuée par la diffusion en temps réel sur Messenger ou WhatsApp.
Le phénomène inquiète autant les commerçants que les taximen, mais il est suivi de près par les autorités, convaincues qu’un encadrement territorial et social permet de contenir ce type d’éruption criminelle.
Un phénomène en mutation constante
Par rapport aux flambées de 2012 ou 2016, la vague actuelle présente une mobilité accrue : les groupes changent d’axe routier d’une semaine à l’autre pour déjouer les patrouilles motorisées de la Brigade spéciale d’intervention rapide.
Une évolution notable se situe dans l’arsenal utilisé : machettes, barres de fer, parfois armes blanches artisanales, tandis que les smartphones servent à coordonner les sorties et à revendre rapidement des objets volés.
La Direction générale de la police rappelle que le nombre de plaintes déposées reste inférieur à l’épisode de 2016, signe, selon elle, de l’efficacité graduelle des opérations nocturnes menées depuis janvier.
Pour l’analyste Didier Obala, la criminalité urbaine suit toujours « le tracé des flux économiques : où l’argent circule, le risque s’installe », d’où l’importance, dit-il, de coupler répression et veille sociale.
Féminisation inattendue des bandes
L’arrestation, le 20 août, d’une jeune femme parmi neuf présumés Kuluna a surpris l’opinion, révélant un tournant discret : certaines équipes intègrent désormais des recrues féminines, souvent en charge de la logistique ou du repérage.
Selon la sociologue Clarisse Moudanga, cette féminisation s’explique autant par la précarité que par « l’aura marginale » que véhiculent certains réseaux, offrant une camaraderie et un revenu rapide dans des zones à fort chômage.
Les autorités soulignent toutefois que le nombre de femmes interpellées reste marginal, moins de 5 % des dossiers traités au parquet de Brazzaville au premier semestre, mais le signal sociologique intrigue et justifie un suivi spécifique.
Des campagnes de sensibilisation ciblant les adolescentes de Ouenzé et Talangaï sont en préparation, avec l’appui d’ONG locales, afin d’empêcher l’enrôlement précoce dans ces cercles violents.
Action gouvernementale et résultats observés
Lors du réveillon d’armes, le président Denis Sassou Nguesso a réaffirmé la priorité donnée à la sécurité intérieure, demandant la poursuite d’une stratégie d’éradication du grand banditisme tout en respectant les principes républicains.
Depuis janvier, la Brigade spéciale d’intervention rapide, appuyée par les unités territoriales, revendique plus de trois cents arrestations, dont soixante-dix récidivistes, et la saisie de 280 armes blanches.
Le commissaire divisionnaire Olivier Mouyabi insiste sur la dimension préventive : « Chaque patrouille est précédée d’un repérage social, on dialogue avec les chefs de rue et les comités de quartier », affirme-t-il dans un entretien.
Divers observateurs notent une légère baisse des agressions nocturnes le long de l’avenue de la Paix, corridor souvent cité, même si la vigilance reste de mise aux abords des stations de bus, selon des commerçants du marché Total.
Facteurs socio-économiques sous-jacents
La banque mondiale estime que près d’un jeune Brazzavillois sur trois est sans emploi stable, un terreau propice à l’économie informelle et aux dérives qui l’accompagnent, dont le banditisme de rue.
Le sociologue Pascal Ndinga rappelle que la famille élargie, autrefois filet de sécurité, s’étiole sous la pression de l’exode rural et du coût de la vie, laissant des jeunes livrés à eux-mêmes dans des quartiers densifiés.
Plusieurs initiatives d’économie sociale voient pourtant le jour, à l’image des ateliers de recyclage de Poto-Poto, où d’anciens Kuluna apprennent la menuiserie et gagnent un revenu régulier en transformant les déchets plastiques.
Le ministère de la Jeunesse envisage d’étendre ces programmes en 2026, misant sur une formation courte, ciblée et financée en partie par des partenariats public-privé, afin de réduire les tentations délictueuses.
Vers une mobilisation communautaire
Au-delà de l’action policière, des collectifs de quartier organisent des rondes citoyennes, équipés de sifflets et de brassards, une formule validée par les autorités locales tant qu’elle respecte le cadre légal.
Dans les écoles secondaires, des ateliers de prévention rappellent aux élèves que courir après un téléphone volé n’est pas une preuve de courage, tandis que les chefs d’établissement y voient un moyen de restaurer la discipline.
La radio communautaire MUCODEC diffuse chaque samedi un magazine interactif où victimes et repentis dialoguent en direct ; l’émission, très suivie, montrerait, selon ses producteurs, une baisse d’appels vindicatifs depuis février.
Feuille de route partagée, l’alliance police-société civile vise à transformer la peur en vigilance constructive, et à inscrire durablement la capitale dans un climat d’affaires propice à la relance économique espérée, gage d’emplois pour la jeunesse.