Une avancée décisive pour le port congolais
Au port de Pointe-Noire, la silhouette orange d’une drague Cutter Suction Dredger a glissé sur l’eau le 20 août 2025. Cette mise à l’eau, supervisée par la China Road and Bridge Corporation, signe la phase visible d’un vaste programme d’extension du Quai Môle Est.
Pour les équipes de Congo Terminal, filiale du groupe Bolloré Africa Logistics, l’opération représente bien plus qu’un geste technique. Elle valide la stabilité future du terre-plein, prémisse indispensable à l’accostage simultané de méga-porte-conteneurs attendus dans les prochaines années.
Enjeux économiques de Pointe-Noire
À deux cents cinquante kilomètres des bassins miniers du Kouilou et de la RDC, Pointe-Noire sert déjà d’exutoire aux productions régionales. L’agrandissement du Môle Est fluidifiera ce corridor et abaissera les coûts logistiques.
Selon la Chambre de commerce de Pointe-Noire, un navire sur trois dessert actuellement la sous-région depuis le terminal congolais. Avec un quai plus long de 410 mètres, la cadence de manutention pourrait grimper de 25 pour cent, renforçant le rang de hub de transbordement du pays.
Les chargeurs interrogés parlent d’un délai moyen réduit à six jours pour le dédouanement, contre neuf auparavant. « Chaque heure gagnée attire un client », souligne Jules Banzouzi, courtier maritime. Les recettes douanières supplémentaires pourraient dépasser plusieurs milliards de francs CFA chaque année.
Technologie de la drague CSD expliquée
La drague CSD utilise une tête de coupe rotative pour fragmenter les sols avant aspiration. Propulsée par six mille chevaux, elle traite jusqu’à mille cinq cents mètres cubes par heure, raccourcissant le dragage et limitant l’impact sur la navigation commerciale.
Construit à Nantong, l’équipement embarque un positionnement satellite corrigeant sa trajectoire en temps réel. Un logiciel de suivi partagé avec les autorités assure la conformité des volumes et la traçabilité des remblais destinés au terre-plein.
« Nous nous sommes alignés sur les standards PIANC et les directives de l’Organisation maritime internationale », souligne Aziz Anguilet, ingénieur projet. « La performance de la drague réduit de moitié la largeur d’emprise et donc la turbidité, un point sensible pour la faune littorale. »
Maîtriser l’empreinte écologique du chantier
Le chantier s’inscrit dans le Plan national d’adaptation au changement climatique, validé en 2021. Les eaux de rinçage des dragues sont filtrées avant rejet, et un rideau de bulles limite la dispersion des sédiments fins vers la plage de Loango, fréquentée par les pêcheurs artisanaux.
Une station flottante prélève chaque matin des échantillons pour mesurer l’oxygène dissous et la concentration en hydrocarbures. Les relevés, disponibles sur le site de l’Agence congolaise de l’environnement, montrent jusqu’ici des valeurs en dessous des seuils de vigilance fixés par la réglementation communautaire.
Pour compenser l’empreinte carbone du dragage, CRBC a annoncé la plantation de soixante-dix mille palétuviers dans la mangrove du Kouilou. La mesure est saluée par l’ONG Renatura, qui rappelle que ces arbres stockent quatre fois plus de carbone qu’une forêt terrestre équivalente.
Partenariats et emplois locaux renforcés
Le projet mobilise actuellement neuf cents travailleurs, dont soixante-dix-huit pour cent de nationaux. Congo Terminal finance en parallèle un programme de certification STCW au Centre de formation maritime de Mpita, afin de doter le pays d’opérateurs spécialisés dans la conduite de dragues et la bathymétrie.
À l’université Marien-Ngouabi, un laboratoire associé analyse déjà les échantillons de granulométrie. « Les étudiants gagnent un cas pratique à grande échelle, et l’entreprise bénéficie d’un regard scientifique indépendant », explique le professeur Gisèle Matondo. Ce partenariat public-privé illustre la volonté de monter en compétence localement.
La Banque africaine de développement, contributeur financier, souligne que le respect du code de conduite social reste un critère clé pour le décaissement. Des audits trimestriels vérifient salaires, sécurité et inclusion féminine. Le dernier rapport fait état de vingt-deux pour cent de femmes parmi les équipes techniques.
Cap sur la compétitivité régionale
L’extension du Môle Est intervient dans un contexte de compétition accrue entre terminaux de la côte occidentale. Abidjan, Lomé et Kribi ont tous agrandi leurs quais depuis cinq ans. Pointe-Noire joue sa carte profondeur naturelle de vingt-huit mètres et accès direct aux lignes Europe-Amérique.
D’après le cabinet Drewry, le trafic conteneurisé d’Afrique centrale pourrait croître de six pour cent par an jusqu’en 2030. En augmentant sa capacité à deux millions d’EVP, le port congolais anticipe donc la demande future, sans dépendre uniquement de l’exportation pétrolière.
Les premières touchettes de navires sur le nouveau quai sont attendues en 2026. Les autorités préparent déjà un guichet unique digitalisé pour les formalités, présenté comme la prochaine étape. Une modernisation qui, selon le ministère des Transports, placera Pointe-Noire au niveau des terminaux les mieux classés.
À mesure que les grues ZPMC se dresseront, c’est toute une chaîne de valeur qui pourrait profiter de la dynamique. Logisticiens, exportateurs agricoles, start-up de tracking et PME de maintenance voient dans le Môle Est un pivot pour consolider la diversification économique nationale.