Un matériel attendu de longue date
Dans un entrepôt climatisé du Centre national de transfusion sanguine, les palettes fraîchement arrivées racontent déjà une histoire d’espoir. Fauteuils de prélèvement dernier cri, tubuleuses stériles et quarante-six mille poches flambant neuves y patientent depuis vendredi, livrées par le ministère de la Santé.
Le don s’inscrit dans le projet Kobikissa, financé par la Banque mondiale, dont l’un des volets consiste à renforcer la disponibilité du sang sécurisé dans tout le pays. Concrètement, il s’agit de soutenir la collecte, la qualification biologique, le stockage et la distribution vers les hôpitaux.
Pour le professeur Jean-Rosaire Ibarra, ministre de la Santé et de la Population, cette étape marque « une avancée décisive vers l’atteinte des objectifs de santé maternelle et infantile ». Selon lui, l’équipement permettra à court terme de doubler les réserves stratégiques de concentrés globulaires.
Objectif: sauver mères et enfants
Au Congo, les hémorragies du post-partum et les anémies sévères chez l’enfant figurent encore parmi les dix premières causes de décès hospitaliers. Les données provisoires de 2023 indiquent un taux de mortalité maternelle de 378 pour 100 000 naissances vivantes, bien supérieur à la moyenne continentale.
Selon le docteur Mbon Darius Essié, coordonnateur du projet, « chaque minute gagnée grâce à un stock accessible peut faire la différence entre la vie et la mort ». La capacité journalière de production du Cnts devrait passer de 120 à 220 poches qualifiées, une progression notable.
Le projet Kobikissa en chiffres
Lancé en 2021, Kobikissa mobilise 90 millions de dollars, dont près de 8 % dédiés aux produits sanguins. Outre Brazzaville, dix points de collecte émergent à Pointe-Noire, Dolisie, Oyo ou Impfondo. Les travaux incluent l’alimentation électrique solaire et la chaîne de froid, critiques pour la qualité du plasma.
Les indicateurs de suivi, publiés trimestriellement, montrent déjà 12 % d’augmentation des dons volontaires depuis janvier. Les campagnes radios, les messages SMS et la mobilisation des influenceurs urbains ont contribué à sensibiliser les jeunes, segment jusque-là moins impliqué dans la culture du don de sang.
Une stratégie nationale mieux ciblée
Le Cnts ne travaille pas seul. Une cartographie informatique des besoins a été réalisée avec le soutien de l’OMS. Chaque semaine, les hôpitaux renseignent leur niveau de stock sur une plateforme sécurisée, permettant d’allouer les poches selon la gravité et la distance, réduisant ainsi les ruptures.
Cette approche s’accompagne d’un programme de formation continue pour 300 infirmiers et techniciens de laboratoire. Les modules portent sur la collecte éthique, la traçabilité numérique et la gestion des incidents transfusionnels. « La sécurité du patient commence derrière le microscope », rappelle la biologiste Huguette Makosso, formatrice principale.
Voix des acteurs de terrain
À l’Hôpital Mère-Enfant Blanche Gomes, la sage-femme Clarisse Okemba se souvient d’une nuit sans poches O- en juillet. « Nous avons perdu beaucoup de temps à chercher. Aujourd’hui, je reçois le sang en moins d’une heure, c’est un soulagement pour toute l’équipe », confie-t-elle.
Côté donneurs, Christian Banda, 24 ans, dit avoir été motivé par une vidéo partagée sur TikTok. « J’ignorais que trois vies pouvaient être sauvées par mon sang. Maintenant, je viens chaque trimestre », raconte-t-il, sourire masqué derrière son casque de moto-taxi garé devant le centre.
Les pharmaciens, eux, saluent des procédures plus claires. Désormais, chaque poche quitte le Cnts avec un QR code indiquant la date de prélèvement, le groupe et les résultats de dépistage du VIH, des hépatites ou de la syphilis. Une transparence qui renforce la confiance des praticiens.
Perspectives pour la chaîne d’approvisionnement
Si les équipements sont là, le défi logistique demeure. Le pays compte encore des routes difficilement praticables en saison des pluies. Pour garantir la continuité, le ministère teste des glacières connectées capables d’envoyer la température en temps réel via le réseau GSM, même dans les districts reculés.
Une enveloppe complémentaire de 3,5 millions de dollars est en discussion pour motoriser six camionnettes frigorifiques. L’idée est d’assurer une desserte hebdomadaire de la Sangha, des Plateaux et du Nkéni-Alima, départements où l’accès aérien reste rare et le taux d’anémie infantile dépasse 60 %.
Les responsables de la logistique souhaitent également digitaliser le registre des donneurs afin de limiter les doublons et de prévenir les contre-indications médicales. Une application mobile, pilotée par des développeurs congolais, devrait être lancée courant 2024 après validation par la Commission nationale de protection des données.
Un cap vers l’autosuffisance
À terme, le Congo ambitionne d’atteindre 100 % de sang issu de dons bénévoles et réguliers, conformément aux normes de l’Union africaine. L’année 2022 s’est clôturée à 72 %. « C’est un objectif réaliste si l’élan actuel se maintient », estime le statisticien sanitaire Marcel Banzouzi.
Pour les familles qui franchissent chaque jour la porte des hôpitaux, ces chiffres se traduisent surtout par une chance accrue de retrouver leurs proches. Le bourdonnement des générateurs et le ballet des techniciens au Cnts témoignent d’une dynamique nouvelle, placée sous le signe de la solidarité nationale.
Le geste de donner son sang prend ainsi une dimension citoyenne renouvelée, reflet d’une jeunesse désireuse de construire l’avenir.