Un regard nouveau sur l’écran brazzavillois
Dans une ville où la rumba résonne à chaque carrefour, Gilles Djibril Miakalououa surprend en privilégiant le silence d’un plateau de tournage à l’éclat d’une guitare familiale réputée.
À 46 ans, cet acteur devenu réalisateur revendique l’héritage artistique de sa mère, la chanteuse Jacquito Mpoungou, tout en affirmant que « la caméra m’offre plus d’angles pour toucher la société ».
Son choix incarne une tendance affirmée par de jeunes créateurs brazzavillois : transformer la réalité nationale en images capables d’être diffusées sur smartphones, télévisions et festivals africains émergents.
Parcours d’un artiste pluridisciplinaire
Formé au théâtre dans la troupe artistique Le Renouveau, guidé par Jean Claude Loukalamou, Miakalououa découvre vite que le public local réclame davantage l’énergie visuelle que la scénographie statique.
En 2008, un casting dirigé par le général Dabira lui ouvre la porte du long métrage Le Destin, projet finalement avorté mais déterminant pour ses débuts devant la caméra.
Repéré par un réalisateur camerounais collaborant avec la DRTV, il enchaîne les fonctions : acteur, dialoguiste puis scénariste autodidacte, épaulé par le doyen Sébastien Kamba, référence du cinéma national.
Aujourd’hui détenteur d’une carte professionnelle délivrée par le ministère de l’Industrie culturelle, il revendique un statut triple : acteur, scénariste et réalisateur, capable d’assumer tout un pipeline.
Des courts métrages aux séries ambitieuses
Son premier court métrage, Congo Lousse, examine les relations souvent conflictuelles entre producteurs et réalisateurs, un thème choisi pour encourager la transparence dans un secteur parfois jugé opaque.
Le film, coproduit avec le monteur Rodrigue Ngollo, est actuellement en post-production et suscite déjà l’intérêt d’associations culturelles désireuses de programmer des projections-débats dans les quartiers populaires.
En parallèle, le long métrage Tara mé, scénario finalisé, décortique la jalousie au sein des familles recomposées ; une chronique sociale que le réalisateur veut rendre accessible aux lycéens.
Il développe aussi Ntémbé za wa, série de 52 épisodes centrée sur une veuve confrontée au poids des traditions successorales, histoire conçue pour un public familial avide de références locales.
Faute de financements structurés, même dix épisodes pilotes demeurent hors de portée, réaffirmant l’importance des partenariats privés mais aussi des dispositifs publics d’appui à la création audiovisuelle.
Plaidoyer pour une filière mieux organisée
À chaque entretien, Miakalououa réclame des assises nationales du cinéma afin d’établir des barèmes de salaires, des contrats standardisés et un guichet unique pour les certificats de diffusion.
« Les artistes doivent vivre de leur art », répète-t-il, estimant que l’absence d’un cadre juridique ferme l’accès aux grands festivals africains où la concurrence s’appuie sur des dossiers solides.
D’anciens responsables, à l’exemple de Sébastien Kamba, partagent ce constat et se disent prêts à « transmettre des outils simples » aux jeunes équipes, à condition qu’une plateforme officielle les réunisse.
L’idée rejoint la stratégie du ministère de la Culture, qui encourage des clusters créatifs dans plusieurs départements, soulignant la dimension économique des industries culturelles au-delà de leur seule valeur symbolique.
Le rôle attendu des médias publics
Pour Miakalououa, la télévision nationale demeure le diffuseur naturel des œuvres locales ; il invite Télé Congo à réserver des créneaux réguliers aux productions congolaises émergentes.
Diffuser des fictions tournées à Brazzaville valoriserait les décors urbains, stimulerait les entreprises de location de matériel et renforcerait l’image du pays dans la sous-région, plaide le réalisateur.
Des responsables de Télé Congo, contactés lors d’un récent salon culturel, assurent vouloir élargir leur grille, tout en rappelant les impératifs d’audience et de qualité technique désormais imposés par la TNT.
Les avancées du réseau fibre et le lancement prochain d’un second multiplexe ouvrent néanmoins de nouvelles fenêtres de diffusion que les producteurs pourront occuper s’ils structurent leurs catalogues.
Une dynamique générationnelle porteuse d’espoir
Brazzaville compte désormais une douzaine de collectifs de vidéastes, équipés de caméras légères et de logiciels libres, dont l’activité alimente les réseaux sociaux et attire des marques locales.
Selon l’Agence de régulation des postes et communications électroniques, le pays totalise près de cinq millions d’utilisateurs internet, audience potentielle pour des plateformes de vidéo à la demande congolaises.
Les incubateurs technologiques récemment inaugurés par les pouvoirs publics pourraient héberger des start-up dédiées à la distribution, rapprochant ainsi l’écosystème numérique du secteur artistique, estime la sociologue Mireille Mvemba.
Pour Miakalououa, la clé demeure la formation continue ; il prépare d’ailleurs des ateliers d’écriture de scénario destinés aux étudiants de l’Université Marien-Ngouabi et aux jeunes des maisons de quartier.
« Nous ne demandons pas la lune, juste une salle équipée pour répéter », confie-t-il, confiant dans la capacité des municipalités à répondre progressivement à ces besoins techniques.
Soutenu par des pairs et encouragé par les dernières initiatives gouvernementales, Djibril Miakalououa symbolise une génération convaincue que l’image peut compléter la musique pour raconter l’histoire contemporaine du Congo-Brazzaville.