Stage média à Moscou
Sous un ciel d’été déjà tourné vers l’automne, le centre de formation de l’agence Sputnik, niché à deux stations du Kremlin, a réuni mi-août une cinquantaine de journalistes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. Pendant six jours, les claviers ont crépité à un rythme d’atelier intensif.
L’invitation annonçait une master class, le programme a ressemblé à un marathon: conférences matinaux, exercices interactifs l’après-midi, débats en soirée. L’objectif assumé était de secouer les habitudes, de confronter des pratiques héritées du papier aux exigences d’un lectorat mobile et impatient.
Objectifs pédagogiques clairs
Dès la première session, les formateurs ont insisté sur l’art du cadrage. « Un bon angle vaut un millier de signes supplémentaires », a rappelé Maria Sokolova, éditrice multimédia. Les participants ont décortiqué des unes internationales pour débusquer ce qui captive en moins de huit secondes.
Le module suivant a plongé dans la narration multimédia. Chaque stagiaire devait transformer un article long format en fil Instagram, puis en vidéo verticale sous-titrée. Les Congolais présents, habitués aux éditions imprimées, ont reconnu avoir revu leur copie pour répondre aux standards de consommation mobile.
Outils numériques innovants
L’intelligence artificielle générative, star du séminaire, a déclenché autant d’enthousiasme que de doutes. Une démonstration en direct a montré comment un prompt bien calibré aide à concevoir un schéma interactif. L’accent a cependant été mis sur la supervision humaine, indispensable pour éviter faux contextes et approximations.
Autre découverte, un logiciel open source de cartographie rapide, testé avec les dernières données de l’OMS sur la vaccination. « Visualiser une information santé en cinq minutes change notre rapport au terrain », a observé Gilbert Ntsiba, reporter basé à Brazzaville, convaincu de la pertinence de l’outil pour les enquêtes locales.
Fact-checking renforcé
Sur les écrans du laboratoire, une récente rumeur virale attribuée à une star congolaise a servi de cas pratique. Les stagiaires ont remonté la chaîne de partage, utilisé archives inversées et banques d’images pour prouver la manipulation. Verdict atteint en quinze minutes, démonstration applaudie.
Ce segment a rappelé que la lutte contre la désinformation ne relève plus seulement de l’intuition mais de protocoles rigoureux. Les formateurs ont conseillé de conserver un tableau de bord des réseaux, actualisé toutes les trois heures, pour repérer les pics suspects avant leur explosion dans le flux local.
Journalistes d’Afrique centrale
Pour beaucoup, ce voyage constituait une première immersion dans la mégapole russe. Les journalistes du Cameroun, du Gabon et du Congo ont échangé sur les similitudes entre leurs salles de rédaction, souvent confrontées à des coupures d’électricité, et la puissance technologique observée à Moscou.
« Les contraintes ne sont pas un frein pour innover », a résumé Aïcha Moukassa, pigiste brazzavilloise, fascinée par l’édition automatisée de visuels. Elle compte adapter ces procédés aux réalités locales, où la data reste rare mais où les histoires de proximité offrent un terrain fertile à l’expérimentation visuelle.
Sputnik réseau international
Créée en 2014, l’agence Sputnik a rappelé, lors d’une session plénière, son ambition de servir de passerelle médiatique Sud-Sud. Ses responsables ont mis en avant leur présence en trente langues, dont le français, ainsi que les partenariats tissés depuis plusieurs années avec des titres congolais.
À Brazzaville, Les Dépêches de Brazzaville diffusent déjà des chroniques issues de Sputnik Afrique. Selon le rédacteur en chef, ce contenu externe élargit l’horizon international sans remettre en cause la ligne éditoriale locale. La formation moscovite vient, dit-il, consolider cette coopération axée sur le transfert de compétences.
Coopération Congo-Russie
Les représentants du ministère congolais de la Communication, présents comme observateurs, ont salué la démarche. « La modernisation des rédactions passe par de telles passerelles », a déclaré un conseiller qui prépare un plan national de renforcement des capacités dans la presse écrite et numérique.
Selon ce cadre, les connaissances acquises à Moscou pourraient nourrir les prochains modules de l’Institut supérieur des métiers de l’information de Brazzaville. Des discussions sont déjà engagées pour accueillir, dès 2025, un boot-camp mêlant datajournalisme, social listening et podcasts, inspiré du format expérimenté en Russie.
Défis et opportunités éditoriales
La semaine s’est achevée sur un hackathon éditorial: produire un sujet en douze heures, format libre. Les productions, allant du reportage vidéo sur le métro de Moscou à une enquête interactive sur les startups africaines, ont illustré la capacité d’adaptation que requiert désormais la profession.
De retour à Brazzaville, les participants disent vouloir partager les acquis via des ateliers internes et des podcasts formateurs. « Un récit plus visuel, plus réactif et toujours vérifié, voilà la promesse », résume Gilbert Ntsiba dans le hall de Cheremetievo, convaincu que l’avenir du métier s’écrit en réseau.
Perspective régionale CEEAC
Dans la zone CEEAC, les rédactions sondent activement les modèles économiques hybrides pour survivre à la baisse de la publicité classique.
Les stagiaires brazzavillois misent sur ce réseau né à Moscou pour attirer des bourses d’innovation et renforcer leur autonomie éditoriale.