Un souverain à l’identité disputée
Au cœur de l’histoire d’Afrique centrale, le nom de Nimi Lukeni, fondateur du royaume kongo au tournant des IXe-Xe siècles, demeure enveloppé de mystère. Souverain charismatique, il intrigue toujours chercheurs, étudiants et habitants de Brazzaville, tant son identité ethnique reste discutée.
Selon les traditions orales recueillies de part et d’autre du fleuve Congo, deux lignages principaux se disputent son héritage : les Muyombe du Vungu, rive droite, et les Kuni du Ndingi, vallée du Niari. Entre ces versions, les archives coloniales laissent davantage de questions que de certitudes.
La querelle dépasse la simple curiosité généalogique : pour chaque communauté, revendiquer le premier mani kongo participe à la valorisation du patrimoine local et, par ricochet, à la consolidation d’une mémoire nationale que les programmes scolaires s’efforcent aujourd’hui de transmettre avec rigueur.
Le poids des indices onomastiques
Les chercheurs s’appuient d’abord sur les noms. Ainsi, Nsundi, province clé du royaume, serait dérivé du verbe kuni « ku tsunda », débuter ou fabriquer. L’écho linguistique implante la toponymie kongo dans la vallée du Niari, suggérant un déplacement primitif des Kuni vers Mbanza Kongo.
Le prénom Nimi renforce cette hypothèse. Chez les Kuni, il désigne le second jumeau masculin, précédé par Ngo, symbole de la panthère. Le binôme Ngo-Nimi rappelle la dualité puissance-stratégie décrite par les récits bibliques autour d’Ésaü et Jacob, comparaison fréquemment mobilisée par les historiens locaux.
Même le patronyme Lukeni évoque, en kuni, un poisson aux écailles éclatantes ou un petit carnivore à la fourrure chatoyante, métaphores de beauté et de prestige. Or la culture kongo associe souvent l’éclat physique au pouvoir, ce qui confère à l’étymologie une dimension politique implicite.
La piste kuni et ses enjeux
Christian Roland Mbinda Nzaou, docteur en histoire, rappelle que le nom authentique du fleuve Niari serait « Nsundi Niadi ». Il estime que les missionnaires du XIXe siècle l’auraient contracté par commodité phonétique, illustrant la perte d’information qu’occasionne toute transcription exogène des langues africaines.
Plus au nord, un torrent appelé Lukenini, proche de Lubetsi, est montré par le pasteur Joseph Titi comme la trace d’un campement royal. La route nationale 3 suivrait, dit-il, le couloir de la fuite de Lukeni après les premières tensions militaires, preuve orale d’un itinéraire kuni.
Revendiquer cette filiation permettrait aux collectivités de la vallée du Niari de valoriser leur territoire dans les projets de tourisme mémoriel actuellement encouragés par les pouvoirs publics. Un récit enraciné augmente la visibilité des sites historiques, suscite des emplois et renforce le sentiment d’appartenance des jeunes générations urbaines.
Entre traditions orales et archives
La confrontation des sources reste délicate. Les archives portugaises n’évoquent clairement Nimi Lukeni qu’à travers des récits postérieurs, tandis que les chroniqueurs kongo, tels Kikonga Kia Kongo, mêlent faits et légende pour servir une pédagogie clanique. L’historien doit donc croiser linguistique, archéologie et anthropologie comparée.
Les campagnes de prospection menées depuis 2018 par l’université Marien Ngouabi autour du Niari ont livré des tessons datés du Xe siècle. S’ils ne prouvent pas la présence de Nimi Lukeni, ils confirment l’existence d’agglomérations hiérarchisées compatibles avec l’émergence d’un pouvoir proto-royal dans la région.
Certains spécialistes, comme Abraham Constant Ndinga Oba, plaident pour un dialogue transfrontalier impliquant Angola, RDC et Gabon afin de consolider une chronologie commune. Une telle coopération scientifique, soutenue par l’UNESCO, renforcerait la cohésion culturelle sans opposer les mémoires nationales, décloisonnant ainsi l’histoire du Kongo dia Ntotila.
Où repose le premier roi kongo ?
La question de la sépulture reste, elle aussi, ouverte. Les traditions funéraires royales prescrivaient une inhumation secrète afin de protéger la dépouille des profanations. Par conséquent, aucun site n’a été authentifié, même si plusieurs collines sacrées, entre Mbanza Kongo et Louvakou, sont régulièrement citées.
L’absence de tombeau identifié nourrit toutefois l’imaginaire populaire. Certains villageois racontent qu’une lumière se serait autrefois posée sur le mont Kibangou lors des éclipses, signe que l’esprit du mani y veille encore. Ces récits, bien que non vérifiables, entretiennent un lien affectif avec le passé.
Pour les historiens, localiser la dépouille n’est pas prioritaire ; l’essentiel consiste à documenter le parcours de Nimi Lukeni et l’organisation sociale qu’il inaugure. Une fouille imprudente menacerait des vestiges fragiles. La prudence scientifique rejoint donc la sagesse ancestrale qui recommande de laisser dormir les ancêtres.
Perspectives scientifiques à long terme
Un programme d’inventaire numérique des toponymes kongo, porté par le Centre national de recherche en sciences sociales, doit démarrer l’an prochain. L’objectif est de cartographier les racines linguistiques, d’intégrer la géolocalisation des récits et de faciliter l’accès des étudiants aux données.
Parallèlement, les autorités culturelles envisagent un circuit patrimonial reliant le Niari à Mbanza Kongo. Si le projet aboutit, il offrirait une vitrine tangible aux débats académiques et une source de revenus durables pour les communautés, illustrant la complémentarité entre recherche et développement territorial.
Au-delà de la controverse, le débat souligne surtout la richesse des identités congolaises. À l’heure où la jeunesse brazzavilloise redécouvre les sites patrimoniaux, l’histoire de Nimi Lukeni rappelle que l’unité nationale peut se nourrir d’une pluralité de récits, pour peu qu’ils soient étudiés avec méthode.