Rumeurs en ligne et quête identitaire
Sur Facebook, WhatsApp ou encore TikTok, des profils largement partagés affirment que Bernard Bakana Kolélas, figure majeure de la scène politique congolaise, descendrait du peuple téké. L’emballement a surpris nombre d’historiens, contraints de revenir aux archives pour trier le vrai du faux.
La controverse n’est pas anodine : dans un pays où les identités ethniques demeurent un marqueur social fort, attribuer des racines différentes à une personnalité peut orienter la lecture du passé. Les réseaux transforment alors une anecdote en vérité alternative, sans toujours offrir le contexte.
Clés généalogiques sundi-lari
Né le 12 juin 1933 à Mboloki, dans l’actuel département du Pool, Bernard Bakana Kolélas appartient historiquement aux Sundi, une composante lari. Les registres missionnaires, les actes d’état civil et plusieurs témoignages familiaux convergent pour confirmer cette filiation, indépendamment des récits circulant en ligne.
Son père, Nkouka ma Koutou, dirigeait le village de Bila et se distinguait comme couturier. Sa mère, Loumpangou Lua Bizenga, provenait du clan Ndamba. Ce socle familial l’inscrit dans un environnement sundi-lari, où la langue lari, la vannerie et un catholicisme vivace structurent le quotidien.
La séparation précoce de ses parents pousse le jeune Bernard à s’installer chez son beau-père, Binana Bia Mbouala, tisserand installé près des rivières Ngounounkoutou et Ngabantari. Cette trajectoire explique la variété géographique évoquée plus tard, mais ne modifie pas sa lignée d’origine.
De Nsouélé aux premiers engagements
En 1934, la répression liée au mouvement spirituel d’André Grenard Matsoua pousse une partie de la parenté maternelle à fuir Kinkala pour Nsouélé, en périphérie nord de Brazzaville. Bernard, alors enfant, suit ce déplacement et grandit dans un quartier mixte où Tékés et Laris partagent cérémonies coutumières et commerce.
L’intégration à la communauté téké de Nsouélé alimente plus tard la confusion. Dans une interview enregistrée à Paris en 1995, le professeur d’histoire Jean Mokoko rappelait que Kolélas parlait couramment téké, « mais cela relevait d’un voisinage, pas d’une filiation ». La nuance s’est souvent perdue dans la transmission orale.
Étapes à Ouesso et Étoumbi
La carrière politique naissante de Bernard Bakana Kolélas se durcit au début des années 1970, dans un contexte de consolidation institutionnelle. Arrêté en 1969, il passe quatre ans à la prison de Ouesso avant d’être amnistié, puis assigné à résidence à Étoumbi entre 1973 et 1975.
C’est cet épisode de résidence surveillée qui nourrit aujourd’hui encore une partie des spéculations. Étoumbi se situe dans la Cuvette-Ouest, territoire à dominante téké. Son séjour forcé, ponctué de visites pastorales et de matches de football improvisés, a créé des liens affectifs réels, sans toutefois infléchir sa généalogie.
Sources d’archives et regards académiques
Les actes d’état civil consultés au Centre national des archives confirment la naissance dans le Pool et mentionnent l’appartenance au clan Ntsembo du côté paternel. Les carnets de fouilles missionnaires conservés à Linzolo notent également la participation de son grand-père à la vie paroissiale sundi dès 1912.
Pour l’universitaire Cécile Goma, auteure d’une thèse sur les migrations lari, « cette affaire montre surtout la porosité entre mémoire familiale et réseaux sociaux ». La chercheuse observe que l’urbanisation rapide de Brazzaville pousse de nombreux jeunes à chercher des repères, quitte à embrasser des versions simplifiées de l’histoire.
Enjeux mémoriels pour la jeunesse
La confusion, cependant, ne concerne pas uniquement Kolélas. Dans la décennie écoulée, des débats similaires ont touché des artistes ou des entrepreneurs brazzavillois, preuve d’une demande sociale forte autour des généalogies. Les historiens y voient une opportunité pédagogique si les sources primaires sont valorisées.
Se pencher sur les racines de Bernard Bakana Kolélas, c’est aussi revisiter l’histoire politique contemporaine du Congo-Brazzaville. Chef charismatique dans les années 1990, il incarna une opposition structurée, parfois controversée mais toujours ancrée dans le cadre républicain défini par les institutions.
À sa disparition en 2009, le débat sur ses origines refait surface, porté par une diaspora connectée et une scène numérique locale en plein essor. Le pays s’engageait alors dans de nouveaux défis économiques, renforçant le besoin d’un récit national fédérateur.
Aujourd’hui, plusieurs associations culturelles du Pool et de la Cuvette-Ouest collaborent pour documenter oralités et archives. L’objectif est de fournir aux générations nées après la Conférence nationale de 1991 un accès rigoureux aux sources, afin d’éviter que l’algorithme ne dicte le passé collectif.
Les réseaux sociaux, bien utilisés, peuvent valoriser le patrimoine. Des vloggeurs brazzavillois préparent une série historique documentaire.
Perspectives d’un récit partagé
La précision historique est d’autant plus essentielle que le Congo-Brazzaville poursuit son agenda de modernisation. En offrant des repères solides, la recherche vient compléter les politiques publiques de cohésion sociale et favoriser une compréhension apaisée des différences culturelles.
En définitive, Bernard Bakana Kolélas reste un fils du Pool, de filiation sundi-lari, dont le parcours a épousé plusieurs terroirs congolais. Dépasser les raccourcis permet non seulement d’honorer la mémoire du leader, mais aussi de rappeler que l’unité nationale se construit sur la connaissance partagée.