Les coupures, un casse-tête quotidien pour la ville
Au cœur de Brazzaville, les moteurs de groupes électrogènes couvrent souvent la rumeur des klaxons. Entreprises, écoles et hôpitaux s’organisent autour d’horaires de délestage qui bouleversent la vie urbaine.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est accentué avec la croissance démographique de la capitale. La demande dépasse régulièrement la capacité réellement livrée, créant un sentiment d’urgence partagé par tous les quartiers.
Un réseau vieillissant sous tension
Le Congo affiche une puissance installée de 751 MW pour une consommation estimée à 600 MW. Pourtant, plus de la moitié de l’énergie injectée dans la ligne haute tension Pointe-Noire–Brazzaville se volatilise avant d’atteindre les abonnés.
Mis en service il y a 43 ans, ce corridor électrique connaît des pertes techniques de l’ordre de 200 MW faute de transformateurs performants et d’équipements de compensation. « La vétusté nous coûte cher », reconnaît le ministre de l’Énergie Émile Ouosso.
À ces contraintes s’ajoutent les pointes de demande liées au secteur tertiaire en plein essor, ce qui fragilise encore davantage le réseau urbain et provoque des coupures en cascade.
Cap sur la modernisation grâce à de nouveaux financements
Face à cette équation, le gouvernement a obtenu un appui financier majeur de la Banque mondiale destiné à réhabiliter l’axe stratégique Pointe-Noire–Brazzaville. La société adjudicatrice, sélectionnée après appel d’offres international, est déjà mobilisée sur le terrain.
Les travaux incluent le remplacement de conducteurs sur près de 500 kilomètres, la pose de postes blindés modernes et la mise en place d’un système de télésurveillance qui permettra de détecter instantanément toute anomalie.
« L’objectif est de récupérer chaque mégawatt perdu sur la ligne », explique un ingénieur du projet, convaincu que les nouvelles technologies réduiront les pertes à moins de 5 %.
Partenariat public-privé : le rôle déterminant d’Eni-Congo
Le groupe pétrolier Eni-Congo apporte depuis un mois un soutien logistique et technique déterminant. Ses équipes interviennent d’abord à Loudima, nœud névralgique du réseau national, puis à Djiri, Tsiélampo, Ngoyo et Côte Matève.
Des transformateurs de grande puissance, fabriqués en Europe, sont déjà en cours d’acheminement vers le port de Pointe-Noire. Ils remplaceront des équipements obsolètes, parfois en service depuis les années 1980.
Ce partenariat public-privé illustre « la volonté d’aligner les intérêts industriels et communautaires », souligne un cadre d’Eni-Congo, rappelant que la fiabilité électrique profite aussi à la production pétrolière et gazière.
Relance du barrage de Moukoukoulou
Parallèlement, le barrage hydroélectrique de Moukoukoulou fait l’objet d’un vaste programme de rénovation. Construit initialement pour alimenter les cimenteries de la Bouenza et du Niari, il sera doté de turbines plus efficaces et d’un dispositif de contrôle numérique.
Cette relance permettra de sécuriser un socle de production renouvelable, réduisant la dépendance aux centrales thermiques et optimisant le mix énergétique du pays.
Un calendrier serré jusqu’en septembre 2026
Les responsables du projet avancent par étapes. D’ici fin 2025, le gouvernement prévoit une amélioration tangible, grâce à la récupération des 200 MW aujourd’hui perdus en ligne.
Dès le premier semestre 2026, l’ensemble des transformateurs de substitution sera opérationnel, limitant les coupures à des interventions ponctuelles. « En septembre 2026, les délestages ne seront plus qu’un vieux souvenir », assure Émile Ouosso.
La planification intègre aussi la formation de techniciens locaux pour garantir la maintenance. Un centre dédié ouvrira ses portes dans la zone industrielle de Maloukou afin de pérenniser le savoir-faire.
Incidences pour l’économie urbaine
La stabilité électrique devrait faciliter l’essor des PME du numérique et des services, qui peinent aujourd’hui à assurer la continuité de leurs activités. Selon la Chambre de commerce, les délestages coûtent jusqu’à 2 % de croissance annuelle.
Les ménages, eux, espèrent voir leur facture baisser en retraitant moins souvent vers des solutions de secours coûteuses. Les autorités ambitionnent également de réduire l’empreinte carbone liée aux générateurs diesel, omniprésents dans les quartiers populaires.
Une électricité fiable pourrait enfin renforcer l’attractivité touristique de la capitale, en garantissant un confort constant dans les hôtels et restaurants qui longent le fleuve Congo.
Regards d’experts et attentes populaires
Pour le chercheur en énergie Armand Massengo, l’approche intégrée production-transport-maintenance constitue « une rupture méthodologique attendue depuis longtemps ». Il invite toutefois à surveiller la discipline budgétaire pour éviter tout retard.
Dans les rues de Poto-Poto, les habitants se montrent prudemment optimistes. « S’ils tiennent parole, nos enfants feront leurs devoirs sous la lumière du réseau national et non à celle des bougies », témoigne Mireille, vendeuse de fruits.
La Banque mondiale, partenaire financier, estime que la réussite du projet servira de référence dans la sous-région, illustrant l’importance d’investissements ciblés pour accompagner la croissance urbaine africaine.