Une échoppe qui attire tous les regards
Quotidiennement, l’arrêt Coaster du marché Total de Bacongo voit les passants stopper net devant une échoppe colorée, spécialisée dans les pommades corporelles. Posées en façade, de grandes boîtes exhibent des silhouettes féminines dénudées avec un réalisme troublant, remplacant les traditionnelles affiches publicitaires.
Dans l’angle droit de l’entrée principale, cette vitrine improvisée s’impose comme un aimant visuel. Les voyageurs pressés, les écoliers en uniforme et les vendeuses ambulantes ne peuvent éviter les images suggestives. Beaucoup s’interrogent silencieusement sur la présence de scènes érotiques sur un marché familial.
Marketing audacieux ou provocation commerciale
Le propriétaire, la trentaine joviale, assure que les illustrations lui viennent directement des fabricants asiatiques. « Les clients veulent voir le résultat avant d’acheter », explique-t-il, ajustant une étagère de gels éclaircissants. À ses yeux, l’image choc constitue un argument commercial aussi puissant qu’une réduction.
Sur les flacons, des arrière-plans rouges, des lettres clinquantes et des courbes généreuses évoquent les codes visuels des réseaux sociaux. La stratégie semble payante : selon le tenancier, les crèmes « booty-max » et les huiles aphrodisiaques se vendent mieux que le savon traditionnel.
Le discours est cependant plus nuancé du côté des grossistes. Un distributeur explique que ces paquets destinés aux pharmacies sont rarement destinés à être exhibés dans la rue. « En rayon fermé, cela passe. Dehors, cela bouscule les repères culturels », résume-t-il d’un ton prudent.
Voix des clients et des familles brazzavilloises
Autour de l’échoppe, les réactions contrastent. Mireille, mère de trois enfants, avoue détourner le regard de sa benjamine chaque fois qu’elle paie son taxi. « J’explique que c’est pour les adultes », souffle-t-elle, reconnaissant que les questions fusent durant le trajet jusqu’au quartier Makélékélé.
Non loin, Gilbert, jeune étudiant en sociologie, relativise. Pour lui, la société congolaise est déjà immergée dans un flot d’images globalisées. Il pointe les vidéoclips en libre accès sur les smartphones. « Le débat devrait porter sur l’éducation au regard plutôt que sur la censure », affirme-t-il.
Entre ces positions, d’autres riverains évoquent le respect des croyances. Dans une capitale où cohabitent plusieurs confessions, l’exposition de postures intimes peut heurter. Une vendeuse de légumes raconte avoir perdu deux clientes âgées, offensées par ce qu’elles considèrent comme une scène déplacée dans un lieu public.
Cadre légal et rôle des forces publiques
La loi congolaise réprime la diffusion publique de contenus à caractère pornographique, sans préciser de seuil iconographique. Dans les textes, la simple intention d’excitation sexuelle suffit pour caractériser l’infraction. Pourtant, sur le terrain, l’interprétation varie selon les secteurs et selon la perception du trouble social.
Du côté de la brigade commerciale, un officier joint par téléphone rappelle que les patrouilles privilégient les marchandises illicites ou non déclarées. « Le visuel, c’est subjectif », explique-t-il, indiquant que la hiérarchie saisit uniquement après plainte formelle d’une association ou d’un parent.
Le ministère des Affaires sociales affirme travailler à un guide de bonnes pratiques pour les vitrines du secteur informel. Selon un cadre, l’approche consiste à sensibiliser plutôt qu’à sanctionner d’emblée, afin de préserver la dynamique économique tout en veillant au bien-être des familles.
Vers une cohabitation respectueuse de l’espace public
Dans les rues adjacentes, des commerçants ont trouvé un compromis. Ils conservent les emballages voyants mais les retournent vers l’intérieur de l’étal, laissant au client intéressé le soin de demander. La méthode réduit l’exposition involontaire tout en maintenant la promesse visuelle pour l’acheteur averti.
L’association locale des parents d’élèves envisage de lancer une campagne d’affichage citoyen autour des écoles primaires. Pancartes et messages radio rappelleraient les limites de la pudeur sans stigmatiser les vendeurs. Les organisateurs espèrent un financement participatif afin d’éviter tout amalgame avec une opération de répression.
Des ajustements progressifs sur le terrain
Sur le terrain, des évolutions sont déjà perceptibles. Certaines boutiques de téléphonie ont retiré les affiches de mannequins en lingerie opulente, remplacées par des graphismes stylisés. Les commerçants affirment n’avoir perdu aucune clientèle et saluent « un climat d’achat plus apaisé » dans leurs échoppes.
Au marché Total, le débat reste ouvert. Le vendeur promet d’ajouter une bâche semi-opaque si la municipalité le lui demande. En attendant, son étal continue d’alimenter le flux de selfies, de sourires gênés et de conversations animées, rappelant que la ville est aussi un miroir d’elle-même.
Des urbanistes de l’Université Marien-Ngouabi proposent la création de zones marchandes thématiques, où la signalétique serait définie collectivement. Cette organisation permettrait de différencier les espaces familiaux des secteurs adultes, tout en offrant aux entrepreneurs la visibilité nécessaire pour écouler leurs produits spécialisés.
En attendant ces chantiers, chacun compose avec la réalité du trottoir. Les parents redoublent de pédagogie, les commerçants mesurent l’impact de leur marketing, et la police jongle avec ses priorités. Le marché Total demeure ainsi le reflet vibrant d’une société congolaise en pleine mutation visuelle.