Le Nguya prend la mer depuis Shanghai
Depuis le 26 août, le navire-usine Nguya a quitté le port de Shanghai pour rejoindre les eaux congolaises. À son bord, une technologie de liquéfaction du gaz naturel qui marque une nouvelle étape de la stratégie énergétique du pays et illustre son ambition industrielle.
Lors de la cérémonie de départ, le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean Richard Itoua a salué un « tournant concret vers l’autonomie gazière », aux côtés de Stefano Maione d’Eni. Le ruban coupé en Chine symbolise une coopération qui dépasse désormais les frontières continentales et sectorielles.
Un chantier livré en un temps record
Construit en seulement trente-trois mois, Nguya rejoint la Tango FLNG mise en service fin 2023. Ensemble, les deux unités porteront la capacité de liquéfaction congolaise à trois millions de tonnes par an, volume suffisant pour entrer dans le top cinq africain dès 2025 probablement.
Les ingénieurs vantent la rapidité du chantier, équivalente aux meilleures références asiatiques. « Nous avons gardé le même niveau d’exigence que pour un site onshore tout en gagnant un an de calendrier », explique un cadre d’Eni, soulignant l’intérêt d’un montage modulaire dans le processus global.
Synergie entre SNPC, Eni et Lukoil
Derrière la coque blanche, un consortium soudé réunit la Société nationale des pétroles du Congo, Eni Congo et Lukoil. Chacun apporte un savoir-faire précis, de la géologie au marketing, tandis que la tutelle publique veille à l’alignement sur le Plan national de développement 2022-2026 actuel stratégique.
Pour le ministère, cette entente demeure essentielle à la sécurisation de l’approvisionnement domestique et des flux export. Les actionnaires ont accepté un partage de production favorisant l’État, gage d’une meilleure redistribution. Selon un proche du dossier, cet équilibre facilite aussi l’accès au financement international compétitif.
Des technologies bas carbone en vitrine
Nguya intègre un cycle combiné alimenté par le gaz capté, réduisant la consommation de diesel. Le système de récupération de chaleur limite les émissions, tandis que le projet s’engage sur le zéro torchage routinier. Les capteurs installés permettront un suivi en temps réel des rejets polluants atmosphériques.
Côté certification, les équipes visent le label Global Carbon Council. Plusieurs modules ont été préfabriqués avec de l’acier à haute résistance, réduisant l’empreinte matérielle. Un responsable de SNPC estime que cette approche « prouve qu’un pays producteur peut concilier performance économique et sobriété climatique ».
Effets attendus sur l’économie congolaise
Une fois amarrées au large de Pointe-Noire, Nguya et Tango devraient générer plus de deux milliards de dollars de recettes annuelles, selon les estimations de la Chambre africaine de l’énergie. Ces ressources nouvelles renforceront les réserves de change et soutiendront la politique budgétaire nationale future.
Le ministère de l’Économie anticipe également une baisse progressive des importations de carburants, grâce au gaz transformé localement en électricité et en engrais. Cet effet de substitution pourrait alléger la facture énergétique publique et offrir un avantage compétitif aux industries installées dans la zone économique spéciale.
Emplois et formation pour la jeunesse
Plus de sept cents techniciens congolais ont déjà suivi une formation à Shanghai, couvrant la maintenance des turbines et la sécurité offshore. À leur retour, ils intègrent des équipes mixtes où l’expertise locale grandit aux côtés de spécialistes italiens, russes et singapouriens, hautement recherchées localement désormais.
L’Institut national du pétrole compte adapter ses programmes dès la rentrée afin de pérenniser ces nouvelles compétences. Des partenariats avec l’université Marien-Ngouabi et des centres techniques européens sont annoncés. L’objectif affiché est de former chaque année deux cents ingénieurs dédiés au GNL flottant congolais.
Congo, futur hub gazier africain
Pour NJ Ayuk, président exécutif de la Chambre africaine de l’énergie, « le départ de Nguya envoie un signal fort aux marchés sur la fiabilité congolaise ». Selon lui, la visibilité accrue aidera à lever les capitaux nécessaires aux phases ultérieures de la stratégie gazière.
Les cargaisons congolaises devraient d’abord répondre à la demande saisonnière européenne, avant de viser l’Asie du Sud-Est. Cette diversification protège le pays des fluctuations régionales et confirme l’importance grandissante des routes maritimes de l’Atlantique Sud dans la géopolitique énergétique mondiale, et des financements futurs.
Au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, Brazzaville discute déjà d’interconnexions gazières sous-marines. Les experts du secrétariat régional estiment que le surplus de production pourrait alimenter demain le marché camerounais, réduisant l’usage de fuel lourd dans la production d’électricité et de chaleur.
Si les calendriers se confirment, la mise à quai de Nguya aura lieu avant la fin d’année, ouvrant une phase de tests de quatre-vingt-dix jours. Les premières cargaisons commerciales partiront aussitôt, profitant d’une fenêtre de prix favorable sur le marché spot et contrats à terme.
Pour les jeunes urbains de la capitale, cet horizon nourrit l’espoir d’emplois qualifiés. Relevé à Shanghai, le pavillon congolais flotte désormais vers Pointe-Noire, porteur d’une promesse : transformer le gaz du pays en nouvelles opportunités, tout en consolidant sa place sur la carte énergétique africaine émergente.