Brazzaville face au choléra: état des lieux
À Brazzaville, l’annonce a suscité un mélange d’alarme et d’espoir : un fonds d’urgence dédié au choléra vient d’être activé, piloté par la Croix-Rouge Congolaise avec l’appui technique et financier de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Objectif officiel : freiner la propagation dans les départements de Brazzaville et du Congo-Oubangui, où 500 cas et 35 décès ont déjà été confirmés depuis le 23 juin, selon le ministère de la Santé dirigé par Gilbert Mokoki.
Une flambée qui teste la résilience sanitaire
Le directeur de cabinet du ministre, Donatien Mounkassa, évoque « le taux de létalité le plus élevé enregistré ces dernières années ». La statistique illustre la gravité mais aussi l’urgence : une contamination rapide, portée par des réseaux fluviaux et des mouvements frontaliers quotidiens.
À l’épicentre, l’île Mbamou, enclave insulaire au large de la capitale, combine faible accès à l’eau potable et densité humaine. Les pirogues assurent un va-et-vient constant vers Kinshasa et l’Angola, créant d’inévitables ponts pour Vibrio cholerae.
Les autorités locales ont multiplié les sensibilisations sur le lavage des mains, mais reconnaissent que « l’habitat spontané complique tout », confie un responsable sanitaire du huitième arrondissement. Le défi est autant logistique que comportemental.
Le mécanisme DREF expliqué aux Brazzavillois
Le Disasters Response Emergency Fund, plus connu sous l’acronyme DREF, fonctionne comme une réserve financière mobilisable en moins de vingt-quatre heures. Son activation au Congo apporte 300 000 CHF, dédiés aux kits d’hydratation, aux points de chloration et à la formation des volontaires.
« Nous voulons que chaque quartier sache qu’il peut alerter une équipe en dix minutes », souligne Arlette Ngoma, cheffe de mission de la CRC. Les antennes de Makélékélé à Talangai reçoivent déjà des modules de gestion communautaire épidémique.
Le dispositif prévoit aussi un suivi numérique : chaque cas suspect est géolocalisé via l’application KoboCollect, puis consolidé au Centre des opérations d’urgence sanitaire. Cette traçabilité doit raccourcir le délai entre alerte et désinfection.
L’île Mbamou sous forte surveillance communautaire
Depuis fin juillet, des comités villageois sillonnent les berges avec des mégaphones pour rappeler les gestes barrières. La cheffe du district sanitaire, Dr Henriette Ossango, note une adhésion « satisfaisante » malgré la méfiance initiale nourrie par de fausses rumeurs sur les pastilles de chlore.
Sur l’île, l’école primaire sert de centre de réhydratation oral, tandis que le terrain de football abrite une station de chlorination construite par les volontaires. Les infirmiers recrutés localement reçoivent une prime journalière financée par le fonds d’urgence.
Les premières données montrent une baisse de 25 % des admissions depuis la deuxième semaine d’août, mais les autorités restent prudentes. « Nous ne parlons pas encore de pic passé », insiste le Dr Ossango, rappelant qu’un cycle de pluies intenses peut inverser la tendance.
Appui financier international et mobilisation locale
Aux 300 000 CHF du DREF s’ajoutent 220 000 euros octroyés par l’Union européenne, soit environ 540 millions de F CFA. La représentante de l’UE à Brazzaville, Anne Marchal, a salué « la coordination proactive » entre partenaires.
Le gouvernement congolais a de son côté engagé des ressources logistiques : mise à disposition de barges pour le transport de solutions chlorées, exonérations douanières pour les cargaisons médicales et mobilisation de la réserve sanitaire nationale.
Des entreprises locales, à l’exemple de la Brasserie Mbi, ont offert des camions-citernes pour l’acheminement d’eau potable. La société civile, regroupée au sein du collectif « Zero Choléra », organise chaque samedi des séances de désinfection de marchés.
Prévention durable et rôle des citoyens
Les spécialistes rappellent que le fonds d’urgence n’est qu’un levier transitoire. « La solution pérenne passe par l’accès universel à l’eau et à l’assainissement », résume le professeur en santé publique Alain Boka, de l’Université Marien-Ngouabi.
Dans la capitale, plusieurs mairies testent désormais des fontaines publiques alimentées par forage solaire. L’idée est de réduire la dépendance aux vendeurs d’eau informels, souvent incriminés dans la contamination des jerricans.
Les réseaux d’étudiants se mobilisent également. À l’Institut national de jeunesse et sport, des volontaires composent des chansons pédagogiques diffusées sur TikTok et WhatsApp, plateformes plébiscitées par les 18-35 ans.
L’enjeu, selon le sociologue Urbain Diatebou, est de « transformer la peur en réflexe sanitaire ». Il note que les campagnes précédentes contre Ebola en Afrique de l’Ouest ont montré l’importance d’une communication adaptée aux codes urbains.
Perspectives et vigilance partagée
Pour l’instant, le gouvernement maintient l’alerte épidémiologique au niveau 2, permettant le déploiement accéléré de personnels et l’activation de partenariats régionaux. Les corridors sanitaires avec Kinshasa restent ouverts mais sous contrôle renforcé.
Alors que la saison sèche touche à sa fin, experts et autorités espèrent que le fonds d’urgence améliorera la détection précoce afin d’éviter une résurgence pendant les pluies. D’ici là, chacun est invité à signaler tout cas suspect au numéro gratuit 3434.
Les partenaires médicaux préparent par ailleurs une étude génomique sur les souches locales afin d’identifier d’éventuelles résistances aux antibiotiques. Les résultats, attendus en octobre, guideront la mise à jour des protocoles thérapeutiques nationaux.
Cette démarche scientifique s’inscrit dans la stratégie gouvernementale de sécurité sanitaire à long terme.