Pékin-Brazzaville : un axe stratégique en mouvement
La confirmation officielle du déplacement du président Denis Sassou Nguesso à Pékin, du 3 au 5 septembre, place l’actualité diplomatique congolaise sous les projecteurs. Invité par Xi Jinping, le chef de l’État rencontrera l’ensemble des décideurs chinois pour renforcer un partenariat déjà dense.
Il s’agira de la troisième visite présidentielle en Chine depuis la coprésidence congolaise du Forum sur la coopération sino-africaine, entamée en 2023. Cette fréquence illustre la solidité d’un axe Pékin-Brazzaville souvent décrit par les deux capitales comme une « communauté de destin partagé ».
Dans le contexte mondial actuel, marqué par la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement, cette rencontre sera surveillée par les places financières, mais aussi par la population brazzavilloise qui suit de près l’évolution des projets d’énergie, d’infrastructures routières et de transfert technologique annoncés ces dernières années.
Les enjeux économiques majeurs pour le Congo
La Chine représente déjà le premier partenaire commercial du Congo, avec environ six milliards de dollars d’échanges annuels. Elle concentre aussi près d’un quart de la dette extérieure, donnant à chaque rendez-vous bilatéral un poids particulier pour la gestion macroéconomique du pays.
Les discussions devraient s’appuyer sur le secteur pétrolier, où Wing Wah, filiale de Southernpec, exploite depuis 2015 plusieurs blocs prometteurs. À plus long terme, le projet gazier de Banga Kayo, valorisant trente milliards de mètres cubes autrefois torchés, est présenté comme un catalyseur industriel national.
Jean-Jacques Bouya, ministre de l’Administration du territoire, et Denis-Christel Sassou Nguesso, en charge de la Coopération internationale, supervisent ces dossiers. Leur présence technique dans la délégation augure de négociations serrées sur les calendriers d’exécution, le contenu local et la formation des ingénieurs congolais.
Forum sino-africain : un levier diplomatique pour Brazzaville
Le Forum sur la coopération sino-africaine, lancé en 2000, structure depuis vingt-trois ans l’essentiel des engagements financiers chinois sur le continent. Avec la coprésidence congolaise jusqu’en 2027, Brazzaville dispose d’une tribune privilégiée pour articuler ses priorités et celles de ses voisins d’Afrique centrale.
La prochaine édition du sommet Afrique-Chine est d’ailleurs prévue à Brazzaville en 2025. Les premiers travaux de logistique et de sécurité sont déjà enclenchés, sous la coordination de l’ambassadrice An Qing, arrivée en juillet, qui multiplie les visites de terrain et les séances de travail.
Pour Paul Ngatsé, chercheur à l’Université Marien Ngouabi, « la coprésidence congolaisedu Focac permet de défendre un agenda régional, notamment l’interconnexion électrique et les corridors routiers vers la frontière Cameroun ». Selon lui, Pékin écoute avec attention ces demandes, jugées indispensables au commerce transfrontalier.
Agriculture, gaz, innovation : la diversification en marche
Au-delà des infrastructures, les autorités congolaises espèrent attirer des investissements dans l’agro-industrie. Un séminaire organisé en juillet dans la province chinoise de Shanxi avait réuni cinquante experts africains autour des technologies agricoles modernes. Le Congo y était représenté par Steven Lumière Moussala, conseiller du Premier ministre.
Les représentants chinois ont notamment présenté des drones d’épandage, des capteurs d’humidité connectés et des variétés de riz à haut rendement adaptées au climat équatorial. Des pilotes pourraient être lancés dans la cuvette de Ngabé, puis étendus aux plaines côtières si les premiers résultats se confirment.
De source gouvernementale, l’accent mis sur l’agriculture vise aussi à réduire les importations alimentaires, qui pèsent sur les réserves de change. Pékin propose un schéma de crédit concessionnel assorti de formations sur place, tandis que les partenaires congolais garantiraient l’accès au foncier et la sécurisation des sites.
Diplomatie culturelle et ambitions numériques
Affichage officiel mis à part, la visite comprend un volet culturel souvent moins médiatisé. Des rencontres avec des étudiants congolais de l’Université de Pékin sont programmées, tout comme la signature d’un accord élargissant les bourses scolaires, actuellement fixées à 160 par an, selon le ministère de l’Enseignement supérieur.
Pour Whitney Massamba, président de l’Association des Étudiants Congolais en Chine, « un accroissement des bourses renforcerait les passerelles scientifiques et commerciales. Beaucoup de diplômés souhaitent rentrer au pays pour contribuer aux start-ups locales, mais ils ont besoin d’un réseau facilitant l’accès aux incubateurs ».
Les analystes voient également dans ce déplacement un message adressé à la jeunesse urbaine brazzavilloise, avide d’emplois qualifiés. Les accords à venir sur la cybersécurité, l’e-commerce et l’audiovisuel pourraient stimuler des métiers nouveaux, consolidant ainsi les ambitions nationales en matière de transformation numérique.
De la parole aux chantiers : défis et attentes
À l’issue des trois jours pékinois, un communiqué conjoint est attendu, détaillant projets, volumes financiers et calendrier. Sans préjuger des signatures finales, l’atmosphère demeure propice. Comme le résume un diplomate africain en poste à Pékin, « l’amitié sino-congolaise suit sa trajectoire ascendante ».
Les observateurs rappellent cependant que la mise en œuvre reste le véritable test. Sur le chantier du pont route-rail entre Brazzaville et Kinshasa, annoncé en 2018, les travaux préparatoires progressent lentement. Une feuille de route actualisée pourrait être dévoilée à Pékin, selon une source proche du dossier.
Quoi qu’il advienne, les discussions prévues en septembre inscrivent le Congo dans le tempo diplomatique mondial, entre diversification des partenaires et affirmation de ses atouts énergétiques, humains et logistiques.