Course diplomatique à l’Unesco
À Paris, siège de l’Unesco, la prochaine élection du directeur général mobilise chancelleries et experts. Deux candidats restent en lice : l’Égyptien Khaled Ahmed El-Enany et le Congolais Firmin Édouard Matoko. Leur duel cristallise des enjeux diplomatiques allant bien au-delà de l’institution.
Pour les 58 membres du Conseil exécutif, le suffrage d’octobre déterminera quel nom sera proposé en novembre à la Conférence générale réunissant 194 États. Chaque vote comptera, d’autant que le désistement mexicain a resserré l’écart entre les prétendants.
Retrait mexicain et nouvelle donne
Gabriela Ramos, forte d’un solide profil, avait arpenté capitales et campus. Son retrait soudain, officialisé fin août, a surpris plusieurs observateurs. Il rebat les cartes, relançant une compétition que beaucoup pensaient déjà verrouillée autour du candidat soutenu par Le Caire.
L’espace laissé vacant attire les attentions. Les diplomates cherchent désormais à capitaliser leurs voix sur une candidature crédible, sujette à moins de fractures régionales. Dans ce nouveau paysage, l’argument de proximité culturelle et la feuille de route proposée pèsent plus lourd.
Khaled El-Enany, atout du Caire
Ancien ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités, Khaled El-Enany s’appuie sur la diplomatie expérimentée de son pays. Le Caire fait valoir sa longue tradition multilatérale et sa capacité financière à soutenir des programmes, notamment dans la protection du patrimoine mondial.
Dans les couloirs de la Place Fontenoy, ses partisans soulignent son exposition médiatique et sa faculté à projeter l’image d’une Unesco plus visible. « Il connaît le tourisme, donc l’économie de la culture », glisse un conseiller arabe, confiant dans leur avance.
Firmin Matoko, voix venue de l’intérieur
Face à lui, Firmin Édouard Matoko se présente comme un homme de la maison. Actuel sous-directeur général chargé des priorités Afrique et jeunesse, il met en avant une carrière entamée dans les années 1990 entre bureaux régionaux et siège parisien.
Son discours, centré sur l’équité, promet de rapprocher les programmes éducatifs des besoins réels des États membres. Dans un message relayé à Brazzaville, il insiste sur « une gestion transparente, orientée résultat » et sur l’écoute systématique des communautés locales.
Poids des groupes électoraux
Le Conseil exécutif est divisé en six groupes géographiques, configuration souvent déterminante. Le camp égyptien compte sur la solidarité arabe et le soutien d’alliés asiatiques désireux de préserver des équilibres. Pourtant, le jeu croisé des promesses peut rapidement redistribuer ces blocs.
Côté congolais, la reconnaissance officielle de l’Union africaine pèse lourd. Les 17 sièges du groupe Afrique constituent un socle significatif. Matoko espère élargir cette base, notamment en Amérique latine, où plusieurs missions ont souligné sa sensibilité envers les cultures autochtones.
Alliance africaine renforcée
À Addis-Abeba, le président Denis Sassou Nguesso a plaidé pour une candidature africaine unie. L’appel a trouvé écho auprès de chefs d’État qui souhaitent voir le continent guider, pour la première fois, l’organisation onusienne dédiée à l’éducation, la science et la culture.
La diplomatie congolaise, menée par Jean-Claude Gakosso, multiplie réunions et notes verbales. Un conseiller africain résume : « Le message est clair : accorder la direction à un expérimenté du Sud global renforcerait la légitimité d’une Unesco universelle ». Les capitales y réfléchissent.
Stratégie de la République du Congo
Brazzaville s’appuie sur un réseau dense, hérité des années de participation aux missions de paix et aux conférences environnementales. Le ministère des Affaires étrangères a envoyé des délégations mixtes, associant universitaires, artistes et jeunes entrepreneurs, afin d’illustrer la diversité nationale.
Le choix d’un candidat interne à l’Unesco traduit également la volonté de continuité. « Nous proposons une transition douce, sans période d’apprentissage », explique un diplomate congolais. Cette stabilité promise rassure des États soucieux de préserver des programmes déjà engagés sur le terrain.
Vision d’une Unesco inclusive
Dans ses allocutions, Matoko insiste sur la jeunesse, pierre angulaire de ses propositions. Il évoque des incubateurs numériques en Afrique, des partenariats avec les universités d’Asie du Sud-Est et une coopération accrue avec les diasporas pour diffuser les valeurs de paix.
Le candidat égyptien met, lui, l’accent sur les industries créatives et le financement innovant du patrimoine. Les électeurs confrontent ainsi deux récits : l’un privilégiant l’impact social, l’autre la visibilité économique. Cette dualité entretient l’intérêt, tout en révélant la complémentarité potentielle.
Regards des partenaires internationaux
Washington, Pékin et Bruxelles suivent la compétition avec attention, conscientes que la future direction orientera les débats sur l’intelligence artificielle ou la restitution des œuvres. « Nous cherchons la cohérence plutôt que l’étiquette », confie un diplomate européen, pointant la qualité des deux dossiers.
Dans ce contexte, chaque engagement public, chaque déplacement, chaque tweet peut influencer le vote à bulletins secrets. Les capitales testent encore les lignes rouges, tout en préservant des marges de négociation jusqu’à la veille du scrutin programmé début octobre.
Vote d’octobre, suspense entretenu
Le Conseil exécutif procèdera à plusieurs tours, jusqu’à ce qu’un candidat obtienne la majorité absolue. Les équipes juridiques des deux camps se préparent déjà : le moindre incident de procédure pourrait être exploité pour consolider ou contester une avance fragile.
Quelle que soit l’issue, le processus illustre la vitalité diplomatique africaine et la capacité du Congo-Brazzaville à porter une voix constructive. Au-delà du suspense, l’enjeu majeur reste la relance d’une Unesco capable de répondre aux défis éducatifs et culturels contemporains.