Brazzaville se souvient
À Brazzaville, le nom Mboungou-Kiongo résonne chez les anciens du lycée Karl-Marx. Quand le journaliste Michel Mboungou-Kiongo répond à Léonard Mboungou-Kipolo, la mémoire familiale se déplie comme une carte ferroviaire.
L’indice transmis est mince : une famille logeait chez la tante Kipolo à Pointe-Noire et conversait dans un kikuni qui sonnait presque comme le kiyombé. De là part l’enquête, entre rails du CFCO et sentiers du Mayombe.
Les Bahungana entre Kouilou et Les Saras
Une branche paternelle, les Bahungana, quitta le Kouilou pour Les Saras, hameau accroché aux contreforts verdoyants. Là, l’orthographe Kiongo glissa vers Tchiongo, conforme aux cadences locales. Les enfants nés sur place portent encore aujourd’hui ce patronyme chantant.
Depuis la gare de Pounga, une piste rejoint Passi-Passi sur la RN3. En chemin, Makaba accueille infirmiers, cheminots et commerçants. Au début des années 1980, Gaston Kiongo y soignait les riverains, mallette d’État à la main.
Michel y entraîne son camarade Josaphat « Jo Plâtre » Kokolo, convalescent d’une fracture. Dans les cours de terre rouge, les adolescents rient et apprennent. Le kikuni, affirment-ils, se comprend sans dictionnaire mais capte l’air marin du littoral.
L’épreuve de l’accent
À Makaba, chaque salutation devient exercice d’oreille. Les finales nasales raccourcissent, les voyelles s’allongent, rappelant le yombé ou le vili. Le moindre souffle révèle l’histoire de migrations, de noces et d’échanges entre clans forestiers.
« Une langue s’enrichit quand elle se frotte à une autre », glisse Mboungou-Kiongo au coin du feu. Cette conviction naît sur le terrain, pas en bibliothèque. Le futur directeur de Télé-Congo forge là son écoute, outil cardinal du métier de reporter.
Précision journalistique et science linguistique
En 2020, le journaliste prolonge le débat à Brazzaville avec le professeur Dominique Ngoïe-Ngalla. Trois heures suffisent pour bousculer les certitudes sur les origines bantoues et rappeler la modestie nécessaire à la recherche.
Le savant rappelle que rares sont les langues originelles. Presque toutes se nourrissent d’emprunts, glissent, se répondent. Le sundi, matrice supposée des idiomes kongo, serait lui-même fruit d’anciennes intersections au cœur du bassin du Kongo et des lacs intérieurs.
Dès lors, parler de pureté linguistique revient à nier la dynamique des peuples. Routes commerciales, conquêtes et alliances marient les morphèmes comme elles mêlent les patronymes. Le Tchiongo de Les Saras illustre cette plasticité, sans jamais effacer la mémoire des ancêtres.
Donner et Recevoir, principe vital
Dans les rues de Poto-Poto, jeunes rappeurs attachent déjà des syllabes kuni à des boucles trap. Un mot vili devient rime, un terme lingala assure la transition. La musique suit la règle du Donner et du Recevoir, exaltée par les linguistes humanistes.
Cette circulation n’amenuise pas la langue nationale, elle l’actualise. Le linguiste Stanislas Banguissa rappelle que le français congolais compte plus de 2 000 emprunts. De même, le kikuni évolue sémantiquement sans perdre sa charpente.
Patrimoine vivant et cohésion sociale
Instituteur à Pointe-Noire, Agnès Massengo constate que l’enseignement bilingue motive ses élèves. Un proverbe kuni expliqué en français déclenche souvent plus de participation qu’une leçon classique. Loin des débats identitaires, la pédagogie embrasse la richesse linguistique comme outil de cohésion.
Le ministère de la Culture multiplie d’ailleurs des ateliers d’écriture en langues nationales. À Brazzaville, la médiathèque municipale accueille chaque trimestre un concours de contes où kuni, vili et téké se croisent. L’audience grandit, gage d’une appétence nouvelle pour le patrimoine immatériel.
Défis de la documentation
Le défi reste l’archivage. Dans les années 1990, Mboungou-Kiongo dirigeait Télé-Congo et enregistrait déjà des palabres en version originale. Les bandes magnétiques dorment parfois dans les sous-sols des chaînes. Numériser ces trésors permettrait d’éviter l’évaporation d’accents, de chants, de tournures rares.
L’université Marien-Ngouabi prépare justement un portail collaboratif où étudiants et villageois déposeront enregistrements et lexiques. Financé en partie par des partenaires internationaux, le projet veut associer les collectivités locales pour garantir l’accès gratuit et la fiabilité scientifique des métadonnées.
Langue, identité et modernité
Au-delà des bancs académiques, la question touche la construction identitaire des jeunes urbains. Sur les réseaux sociaux, nombre d’internautes adoptent le hashtag #MokiliYaKuni pour valoriser expressions et proverbes. Ce mouvement digital montre qu’une langue ne survit pas en se figeant mais en circulant.
Le gouvernement souligne de son côté que la diversité linguistique du Congo constitue un atout diplomatique dans la région. Lors des sommets de la CEEAC, la présence d’interprètes maîtrisant kuni, vili ou lingala facilite les consultations informelles, ces espaces où naissent souvent des consensus.
Regard vers l’avenir
En arpentant la mémoire familiale, Michel Mboungou-Kiongo démontre que raconter une langue revient à raconter les chemins de fer, les internats, les dispensaires et les marchés. Le Kuni n’est pas un vestige, c’est un fil conducteur reliant Pointe-Noire, Makaba et Brazzaville.
Le prochain défi consiste à transformer cette prise de conscience en politiques publiques durables : programmes scolaires adaptés, archives numérisées, festivals multilingues. Alors la voix kuni continuera d’évoluer, forte de ses racines et ouverte au monde, comme la plupart des langues humaines.