La fulgurante success story de Noki-Noki
Née dans un garage de Makélékélé en 2020, la plateforme Noki-Noki a d’abord sillonné Brazzaville avec deux motos et un logiciel rudimentaire. En moins de trois ans, son fondateur Jonathan Yanghat est devenu l’image du nouveau dynamisme numérique congolais, invitant les jeunes à croire en l’entrepreneuriat.
Les investisseurs régionaux se pressaient autour de cette success story. Selon plusieurs courtiers, près de deux millions de dollars auraient été injectés entre 2022 et 2024, permettant à la start-up d’ouvrir des antennes à Douala, Abidjan et Kinshasa. Le récit paraissait solide, presque trop parfait.
Des fonds d’origine suspecte mis au jour
La chute a commencé par une simple vérification de routine. Des auditeurs internes de la BGFI Bank ont identifié, au début d’août 2025, des mouvements sortants inhabituels sur plusieurs comptes de particuliers. Les montants, fractionnés, convergeaient vers des sociétés écrans liées aux opérations logistiques de Noki-Noki.
Le parquet financier, saisi rapidement, a établi un schéma de détournement approchant le milliard de francs CFA. Au centre, Ferida Mbonzo, employée au service clientèle de la banque et partenaire de Yanghat. Les fonds étaient réinjectés dans l’expansion sous-régionale de la jeune pousse en cours.
Les enquêteurs évoquent un procédé classique : micro-virements répétés, complétés par des écritures de régularisation faussées. Cependant, l’ampleur surprend les professionnels. « Nous parlons d’un détournement d’une rare sophistication pour la place de Brazzaville », confie un analyste bancaire sous couvert d’anonymat, prudent sur les superlatifs habituels.
Placés en détention préventive au commissariat central, Yanghat, Mbonzo et l’assistante personnelle du dirigeant attendent l’instruction à venir. Le chef d’entreprise reste silencieux, tandis que son avocate invoque la présomption d’innocence. Le procès promet de lever le voile sur d’éventuelles complicités externes dans le réseau.
La réaction immédiate de la BGFI Bank Congo
Le 30 août 2025, la BGFI Bank Congo a diffusé un communiqué inhabituellement détaillé. Le document insiste sur le caractère strictement individuel des faits et rappelle que l’employée incriminée, majeure et autonome, devra répondre seule devant la justice, sans engager la responsabilité de l’établissement financier.
Pour rassurer l’écosystème, la direction évoque la solidité de ses ratios et la résilience éprouvée lors des précédentes crises régionales. Selon la banque, l’incident reste circonscrit et ne remet pas en cause le service aux clients, la liquidité ou les taux appliqués aux PME locales.
Le texte souligne enfin la loyauté de Jean-Dominique Okemba, président du Conseil d’administration, présenté comme garant des bonnes pratiques. La filiation familiale de l’employée ne serait, selon la BGFI, qu’un accident regrettable dépourvu d’impact sur la surveillance interne et sur la réputation internationale du groupe.
Le rôle de la gouvernance et des contrôles internes
Les spécialistes s’accordent sur un point : l’affaire met à l’épreuve les dispositifs de conformité du secteur bancaire congolais. La loi oblige les établissements à déclarer tout mouvement suspect supérieur à dix millions de francs CFA, mais l’efficacité dépend du nombre d’auditeurs, de la formation et des outils déployés.
Selon un consultant local, la BGFI consacre déjà plus de 6 % de ses charges opérationnelles à la conformité, un taux supérieur à la moyenne sous-régionale. Cependant, l’intrusion d’un proche collaborateur rappelle que la cybersécurité doit être doublée d’un suivi comportemental attentif des agents en interne.
Plus globalement, l’affaire relance le débat sur la gouvernance des start-up en pleine expansion. Les bailleurs demandent désormais des audits indépendants avant chaque tour de table. « Une croissance trop rapide peut masquer des vulnérabilités », observe un professeur d’économie de l’université Marien-Ngouabi, évoquant les conséquences sur l’emploi.
À Brazzaville, certains incubateurs songent même à mutualiser un service de veille financière pour leurs pensionnaires. L’objectif serait de détecter toute injection anormale de capital, qu’elle provienne de détournements ou de flux illicites transfrontaliers, afin de protéger l’écosystème et la crédibilité des innovations locales naissantes.
Perspectives pour la confiance bancaire
Malgré le choc médiatique, la place financière de Brazzaville semble absorber l’affaire sans panique. Les indices du marché interbancaire n’ont pas bougé significativement depuis l’annonce, signe que les opérateurs considèrent l’incident comme maîtrisé, tout en surveillant les prochaines décisions judiciaires et réglementaires à venir attentivement.
La Banque centrale du Congo, par voie de circulaire, rappelle aux établissements l’importance des déclarations de soupçon. Elle affirme disposer d’outils de contrôle adaptés et salue la coopération de la BGFI. Cette posture, jugée rassurante par les chambres de commerce, contribue à stabiliser la perception publique.
Sur le terrain, les utilisateurs de Noki-Noki interrogés disent surtout attendre la reprise du service. Plusieurs restaurants partenaires évoquent une baisse de commandes, mais continuent d’espérer un règlement rapide. « L’application a créé des emplois, il faut qu’elle revienne », explique une cheffe d’entreprise du quartier Plateau.
À moyen terme, experts et régulateurs convergent vers une même conclusion : la digitalisation de l’économie congolaise dépendra de la confiance. Une gouvernance transparente, couplée à des contrôles sophistiqués, devrait permettre de tourner la page tout en préservant l’élan entrepreneurial qui anime la jeunesse urbaine.