Mayoko, nouvelle frontière du fer
Attendue dans les prochaines semaines, la visite du président Denis Sassou-Nguesso à Mayoko, dans le Niari, place une cité minière souvent discrète au premier plan de l’actualité nationale. Le chef de l’État veut y suivre l’avancement d’un projet qui combine investissements privés et action publique.
Mayoko illustre aujourd’hui la stratégie de diversification économique lancée depuis plusieurs années : s’appuyer sur les ressources minières pour créer des emplois, moderniser les infrastructures et attirer des partenaires variés, sans dépendre exclusivement du pétrole.
Un gisement de 917 millions de tonnes
Attribué en 2023 à Ulsan Mining Congo SAU, le permis Mayoko-Moussondji couvre un gisement évalué à 917 millions de tonnes de fer, dont 38,5 millions immédiatement exploitables. Les premières extractions viseront 300 000 tonnes par an, avant une montée graduelle vers 16,5 millions de tonnes.
La durée de vie du projet est estimée à trente ans. Selon les projections officielles, l’enveloppe globale atteindra 15 milliards de dollars, couvrant non seulement les puits et les convoyeurs, mais aussi les routes, le logement des employés et la remise à niveau d’équipements collectifs.
Accord ferroviaire Congo-Turquie
Le 18 juillet à Brazzaville, Ulsan Mining et le Chemin de fer Congo-Océan ont signé une convention de 737 millions d’euros pour réhabiliter la ligne Mayoko-Pointe-Noire. L’opération inclut la pose de rails plus résistants, la rénovation de ponts et l’installation de systèmes de signalisation modernes.
Le projet prévoit également l’arrivée d’une vingtaine de locomotives et de plus de trois cents wagons. Selon le ministère des Transports, cette flotte pourra transporter chaque mois près d’un million de tonnes de fret, renforçant la fluidité des échanges entre l’intérieur et la côte.
Chaîne de valeur et fonderie à Pointe-Noire
Au-delà de l’extraction, Ulsan Holding projette une fonderie à Pointe-Noire, évaluée à deux milliards de dollars. L’usine transformera localement le minerai, un saut qualitatif salué par les économistes, parce qu’il limite l’exportation de matière brute et génère une nouvelle fiscalité industrielle.
Les observateurs notent aussi la perspective d’un pôle sidérurgique régional, capable de fournir de l’acier aux chantiers d’infrastructures, aux artisans métallurgistes et aux entreprises du bâtiment. Cette intégration verticale pourrait améliorer la compétitivité des projets publics tout en soutenant l’émergence de PME locales.
Emplois et retombées locales
Le ministère des Mines avance le chiffre de 3 000 emplois directs durant la première phase, puis 10 000 lorsqu’arrivera l’exploitation de la roche dure. S’y ajouteraient de nombreux emplois indirects dans la maintenance, la restauration, la sécurité et les services marchands.
À Mayoko, les autorités locales misent sur l’agriculture de proximité pour nourrir le futur bassin de travailleurs. Des coopératives villageoises testent déjà la culture de maraîchers à cycle court, tandis qu’un centre de formation professionnelle s’organise autour des métiers miniers et ferroviaires.
Diversification économique du Congo
Depuis le Plan national de développement 2022-2026, Brazzaville insiste sur la réduction de la dépendance pétrolière. Les minerais, les zones économiques spéciales et l’agrobusiness sont présentés comme des relais de croissance capables d’amortir les cycles de prix internationaux.
Le projet de Mayoko constitue, selon plusieurs analystes, une vitrine de cette volonté de diversification. « La dynamique avec la Turquie montre que le Congo peut attirer des financements non traditionnels tout en gardant la maîtrise des ressources », estime l’économiste Urbain Makita.
Cap sur l’intégration logistique nationale
Au-delà de la ligne Mayoko-Pointe-Noire, le gouvernement envisage un corridor minéralier qui remonterait vers la Sangha, reliant les sites de Zanaga et de Nabeba. Cette dorsale ferroviaire créerait, à terme, un réseau continu entre les bassins forestiers, miniers et le port en eau profonde.
Les acteurs logistiques soulignent que le renforcement du CFCO, combiné aux investissements privés, pourrait réduire de 30 % le coût du transport intérieur. Une meilleure circulation des biens favoriserait l’approvisionnement des villes et stimulerait les échanges sous-régionaux via le Corridor Pointe-Noire-Libreville-Douala.
La venue annoncée du président Sassou-Nguesso à Mayoko, près de quarante-cinq ans après sa dernière visite, apparaît ainsi comme un signal politique en faveur d’un développement porté par l’industrie minière. Les prochains mois diront comment les partenaires traduiront ces engagements en réalisations concrètes.
Coopération Congo-Turquie en pleine expansion
Depuis l’ouverture en 2014 de l’ambassade de Turquie à Brazzaville, les échanges bilatéraux ont bondi, passant, selon le ministère du Commerce extérieur, de 58 millions à 250 millions de dollars en moins de dix ans. Le fer de Mayoko représente la phase la plus visible de cette dynamique.
Ankara privilégie aujourd’hui des partenariats où ses entreprises prennent des risques industriels plutôt que de se limiter au négoce. « Le Congo dispose de ressources de classe mondiale et d’une stabilité institutionnelle appréciée par les financiers », observe Ali Özkan, consultant basé à Istanbul, qui suit les projets africains.
Financement et garanties environnementales
Le contrat cadre impose des audits environnementaux indépendants tous les deux ans. Des reboisements sont prévus le long des futures voies ferrées et un fonds destiné à la réhabilitation des sites atteindrait 45 millions de dollars. Les ONG locales participeront au suivi pour garantir la transparence des mesures prises, pleinement évaluées.