Un trésor écologique sous surveillance
De la frontière gabonaise aux lagunes turquoise du Kouilou, le parc national de Conkouati-Douli déploie plus de huit mille kilomètres carrés de forêts primaires, mangroves et savanes côtières. Créé en 1999, ce patchwork d’habitats héberge des gorilles, éléphants de forêt et dauphins de Sousa.
Entre 2010 et 2024, des missions de suivi menées avec l’appui du Programme des Nations unies pour l’environnement ont répertorié plus de cinq cent espèces de plantes et deux cent dix variétés d’oiseaux, confirmant le rang du site comme l’un des hauts lieux de biodiversité centrafricains.
Permis pétroliers : chronologie et périmètre
En février 2024, l’entreprise Overseas United Limited a obtenu le bloc Conkouati. Deux mois plus tard, en avril 2025, Oriental Energy s’est vu attribuer le bloc Niambi. Les deux permis se superposent à une partie terrestre et lagunaire représentant, selon le CAD, près de la moitié du parc.
Le ministère congolais des Hydrocarbures rappelle que les concessions demeurent en phase d’exploration, sans forage de production et sous réserve d’études d’impact environnemental. « Tout opérateur sera tenu de respecter la loi de 2016 sur la faune et les aires protégées », souligne une note d’information datée d’août 2025.
Cette position officielle se fonde sur l’article 29 du décret présidentiel créant le parc, article qui autorise des « activités compatibles avec les objectifs de conservation » à condition d’une validation inter-ministérielle. Les juristes divergent cependant quant à l’interprétation de la notion de compatibilité dans un espace classé intégral.
Les signaux d’alerte de la société civile
Le rapport publié le 4 septembre par le Centre d’action pour le développement, réalisé avec l’ONG américaine Earth Insight, évoque un possible impact sur 90 % des marécages et sur l’habitat des tortues luth, espèce déjà inscrite sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation.
Treize organisations nationales et internationales ont signé une déclaration commune réclamant la suspension des permis. « Le parc est un capital naturel, pas une rente à court terme », insiste Trésor Nzila, avant d’appeler à une table ronde avec les ministères de tutelle et les compagnies concernées.
Les chercheurs de l’université Marien-Ngouabi estiment, dans une note interne consultée, que la valeur des services écosystémiques fournis par Conkouati-Douli dépasse annuellement les recettes moyennes attendues de la phase de production, en raison du rôle du parc dans la régulation climatique et la pêche artisanale côtière.
Arguments économiques et engagement étatique
Le gouvernement rappelle que les hydrocarbures demeurent la première source de devises du pays, finançant infrastructures, santé et éducation. « Diversifier la carte d’exploration est une nécessité budgétaire », expliquait en juillet le directeur général des hydrocarbures, Jean-Marc Thystère, devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale.
Dans une interview accordée au quotidien Les Dépêches de Brazzaville, la ministre de l’Environnement Arlette Soudan-Nonault a toutefois assuré que « tout développement énergétique s’accompagnera de garanties strictes, y compris la possibilité de retirer les titres si des infractions majeures sont constatées dans la zone protégée ».
Le Code pétrolier révisé en 2016 impose aux entreprises un dépôt de caution environnementale et une obligation de restauration des sites après exploitation. Plusieurs analystes financiers soulignent que ces exigences, si elles sont pleinement appliquées, renchérissent le coût des projets tout en protégeant l’image du secteur congolais.
Scénarios pour un équilibre durable
Les économistes du cabinet Emerging Markets Analytics recommandent une approche séquentielle: études sismiques hors zone humide, suivi par un audit indépendant, puis décision finale. Une telle démarche, courante au Ghana, permettrait de calibrer la monétisation des ressources sans compromettre la réputation écotouristique grandissante de Conkouati-Douli.
Du côté des communautés, les chefs traditionnels de Madingo-Kayes plaident pour la création d’un fonds local alimenté par une partie des futurs revenus, afin de financer écoles, dispensaires et reboisement. Les sociétés pétrolières n’ont pas encore formalisé de plan d’investissement social spécifique à cette zone côtière.
Selon le biologiste marin Alain Malonga, un compromis crédible passerait par l’extension de la zone tampon de neuf kilomètres carrés à douze, ajoutant ainsi un coussin de sécurité autour des nids de tortues. « Le dialogue reste ouvert, la science doit guider les choix », résume-t-il.
Enjeux régionaux et calendrier climatique
L’Afrique centrale prépare le sommet climat prévu à Addis-Abeba du 10 au 12 septembre 2025. Brazzaville y présentera sa stratégie « Forêt, eau, climat », articulée autour de la valeur carbone de ses aires protégées. Le dossier Conkouati-Douli pourrait ainsi devenir un test de cohérence politique.
Dans les couloirs de l’Union africaine, plusieurs diplomates soulignent que la capacité du Congo à concilier production pétrolière et conservation renforcerait son leadership forestier dans la région. Une étude de cas positive du parc national serait susceptible d’attirer des financements carbone supplémentaires au bénéfice de communautés locales.
Perspectives d’une gouvernance partagée
La commission mixte environnement-hydrocarbures, créée en mai, prévoit d’intégrer des représentants villageois et des chercheurs indépendants afin de publier chaque trimestre un bulletin public de conformité.