Problématique persistante
Depuis plusieurs mois, des amas d’ordures s’accumulent encore dans les grands collecteurs qui traversent Brazzaville, malgré des campagnes de sensibilisation multiplateformes. Les images de plastiques flottant à la surface des eaux pluviales interrogent sur les habitudes quotidiennes qui continuent de mettre la ville sous pression sanitaire.
Les trente-cinq millimètres de pluies tombées la semaine dernière ont suffi à noyer certains tronçons du boulevard Denis-Sassou-Nguesso, rappelant que le gâchis urbain ne se limite pas à un simple problème d’esthétique, mais pèse aussi sur la mobilité et l’économie locale.
Impact sanitaire
L’humidité stagnante nourrit la reproduction des moustiques. Selon le Programme national de lutte contre le paludisme, la maladie représente 42 % des décès enregistrés dans le pays, 71 % des consultations et plus de la moitié des hospitalisations, un fardeau financier pour de nombreuses familles.
À cette menace s’ajoute le choléra qui, d’après le ministère de la Santé, a déjà fait 35 victimes et 500 cas déclarés depuis juin. Les déchets organiques, en se décomposant dans les canaux, facilitent la propagation des germes et compromettent la potabilité des forages proches.
Enjeux urbains et économiques
Le réseau de collecteurs, conçu pour évacuer jusqu’à 300 m³ d’eau par seconde, fonctionne aujourd’hui en dessous de 60 % de sa capacité, indiquent les ingénieurs du Bureau municipal des travaux publics. Les débordements récurrents accélèrent la dégradation des chaussées déjà fragilisées.
Chaque inondation entame les recettes commerciales du marché Total, situé à proximité du collecteur Mfoa. La Fédération des commerçants estime une baisse moyenne de 18 % des ventes les jours d’eau stagnante, essentiellement à cause du recul de la clientèle piétonne.
Riposte gouvernementale
Face à ces urgences, le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, a lancé en août une opération conjointe de curage et de collecte. L’initiative mobilise près de 300 agents et une dizaine de camions hydrocureurs.
« Nous voulons que la ville retrouve son lustre », a déclaré le ministre sur le chantier de Diata, avant de rappeler que toute personne prise en flagrant délit pourrait être placée en garde à vue, puis astreinte à des travaux d’intérêt général axés sur le nettoyage.
Le dispositif est soutenu par la police de proximité et les chefs de quartiers qui, selon nos informations, tiennent déjà des registres d’incidents afin de repérer les zones critiques. La sensibilisation passe aussi par des animations radio quotidiennes où des hygiénistes expliquent les risques sanitaires.
Voix des riverains
Pour Annie Ngoma, vendeuse de légumes au secteur Nzoko, « les sanctions peuvent aider, mais il faut aussi des bacs à ordure accessibles ». Son voisin, l’étudiant Josué Ndongo, suggère l’installation de caméras solaires, convaincu que la surveillance dissuadera les dépôts clandestins nocturnes.
Dans l’arrondissement de Talangaï, des collectifs de jeunes se constituent autour d’actions citoyennes baptisées « Les samedis propres ». Ils sillonnent ruelles et collecteurs munis de gants et de sacs recyclables, puis déposent les déchets à la décharge officielle de Mayinga avant midi.
Perspectives de solutions inclusives
Des urbanistes de l’École nationale supérieure polytechnique recommandent la mise en place de points de tri inspirés du programme ivoirien EcoBin. Le principe repose sur des conteneurs colorés connectés à une application mobile capable de récompenser les utilisateurs réguliers par des crédits téléphoniques.
L’Agence française de développement a, pour sa part, financé une étude de faisabilité sur la valorisation des déchets plastiques en pavés écologiques. Les premiers prototypes, testés dans le quartier Moukondo, affichent une résistance équivalente au béton standard, tout en réduisant la chaleur en surface.
Pour le sociologue Roland Malonga, la pollution des collecteurs demeure avant tout « un problème de comportement, pas de moyens ». Il estime qu’un changement durable passera par l’école primaire, où il propose d’introduire un module pratique d’environnement évalué chaque trimestre au même titre que les mathématiques.
Les chefs traditionnels, quant à eux, rappellent que le nettoyage des rivières faisait autrefois partie des rites communautaires mensuels. Leurs conseils, intégrés désormais aux comités locaux de développement, souhaitent relancer ces journées symboliques pour redonner un sens collectif à l’entretien urbain.
Cap vers la saison des pluies
Avec la saison des pluies annoncée pour novembre, les autorités entendent accélérer les travaux de curage. Le ministère prévoit d’étendre l’opération à Pointe-Noire, où des situations similaires émergent. Brazzaville sert ainsi de laboratoire à une stratégie nationale d’assainissement adaptée aux réalités urbaines congolaises.
Les prochains mois diront si la combinaison de sanctions pédagogiques, de technologies de suivi et d’incitations économiques transformera les pratiques quotidiennes. Dans l’immédiat, chaque sac poubelle jeté dans un caniveau rappelle la fragilité d’une capitale qui aspire à devenir un hub régional résilient.
Pour l’ingénieur hydraulicien Aimé Ibata, « la solution est collective ». Il souligne que les efforts publics nécessitent une appropriation citoyenne, faute de quoi « le cycle des curages se prolongera indéfiniment ». Son constat rejoint la posture officielle d’un État qui appelle à la coresponsabilité.