Moufilou, nouveau point de départ
Trois heures de piste séparent Moufilou, modeste village du district de Mayéyé, des premiers lampadaires de Sibiti. Pourtant c’est ici, au cœur de la forêt de la Lekoumou, que le Congo vient de franchir une nouvelle étape vers l’égalité des chances, ce 5 septembre.
La ministre des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire, Irène Marie-Cécile Mboukou-Kimbatsa, y a lancé la phase pilote d’un programme d’insertion socio-économique réservé aux populations autochtones, majoritaires dans la zone et souvent tenues à l’écart des circuits de développement.
« Nous voulons bâtir un modèle reproductible partout au Congo », a déclaré la ministre devant des représentants du Programme alimentaire mondial et une délégation canadienne. Le dispositif doit, sur douze à quatorze mois, tester des solutions adaptées en matière d’éducation, santé et création d’activités rémunératrices.
Un programme taillé sur mesure pour les autochtones
Ce chantier social prend appui sur un financement additionnel du projet Telema. Cet instrument, déjà déployé pour dynamiser l’action sociale et la collecte de données, injecte ici des fonds dédiés à la formation professionnelle, à l’enregistrement à l’état civil et au soutien des micro-projets agricoles.
Dans la cour de l’école primaire, transformée pour l’occasion en centre d’inscription, les futurs bénéficiaires ont reçu leurs cartes biométriques. Elles serviront à suivre l’évolution de chaque ménage, depuis l’apprentissage de la lecture jusqu’au montage d’une petite entreprise de manioc ou d’artisanat forestier.
C’est une première pour Vincent, 28 ans, père de deux enfants. « Je n’ai jamais eu de certificat de naissance. Demain, je pourrai inscrire mes enfants à l’école », confie-t-il, le regard fier. Les agents d’état civil ont déjà enregistré 312 actes en une journée.
Telema, moteur financier et technologique
Ce progrès administratif s’adosse à l’histoire législative du pays. En 2011, la République du Congo fut le premier État africain à adopter une loi spécifique protégeant les droits des peuples autochtones. Le texte garantit l’accès à l’éducation, à la santé et à un emploi décent.
Depuis, plusieurs initiatives ont vu le jour, de l’ouverture de classes bilingues à la distribution de carnets de santé gratuits. L’organisation du premier Congrès mondial des peuples autochtones et des communautés locales, en mai à Brazzaville, a consolidé cette dynamique par la « Déclaration de Brazzaville ».
Le projet de Moufilou arrive donc comme un prolongement concret des engagements internationaux pris par le Congo. « Nous devons passer des textes aux actions tangibles », résume Christian Kyanga, expert au Pnud, convaincu que la phase pilote servira de laboratoire pour toute la sous-région.
Côté financement, Telema mobilise des ressources combinant budget national, appui de la Banque mondiale et contributions privées. Le montant exact n’a pas été rendu public, mais les autorités parlent d’une enveloppe « suffisante » pour atteindre mille bénéficiaires directs et un impact indirect sur cinq mille familles.
Des services de base repensés sur le terrain
La composante santé prévoit la construction d’un dispensaire mobile équipé pour la vaccination infantile et la prévention du paludisme. L’unité se déplacera chaque semaine entre les onze hameaux rattachés à Moufilou, limitant ainsi les longs trajets souvent fatals pour les femmes enceintes.
Le volet éducation repose sur la création de classes passerelles. Les enfants autochtones, parfois scolarisés tardivement, y suivront un programme intensif de lecture et de calcul avant d’être intégrés au cursus classique. Des enseignants formés au bilinguisme français-lingala assureront la transition sans rupture culturelle.
Pour l’économie locale, le projet finance des ateliers d’apiculture, de transformation du miel et de couture. Chaque bénéficiaire devra suivre au moins cent heures de formation et présenter un plan d’affaires simplifié. Les micro-crédits seront accordés à un taux inférieur à 2 %.
Les voix locales portent le projet
Les chefs traditionnels, conviés à la cérémonie, ont salué l’écoute gouvernementale. « L’aide arrive enfin au plus près », a apprécié le patriarche Nganga Ntsakala, promettant de sensibiliser les communautés à la gestion collective des équipements, afin d’éviter les dérives individualistes et les conflits internes.
Sur le terrain, les attentes restent immenses. Les associations locales aimeraient voir le projet inclure un volet accès à l’énergie renouvelable, indispensable au stockage des produits agricoles. La ministre affirme étudier la possibilité d’installer des kits solaires grâce à un prochain concours du Fonds vert.
Les partenaires internationaux observent déjà les premiers retours. Selon Awa Diallo, représentante du PAM, « l’approche conjointe registres sociaux, transferts monétaires et accompagnement technique pourrait servir de référence dans d’autres pays forestiers ». Elle souligne toutefois l’importance d’une évaluation indépendante pour garantir la transparence.
Une ambition nationale assumée
À l’heure où le Congo s’engage vers une croissance plus inclusive, l’expérience de Moufilou rappelle que le développement se gagne d’abord sur le terrain des droits. Si la phase pilote atteint ses objectifs, un déploiement national pourrait démarrer dès 2025, selon le ministère.