Les motos jaunes envahissent la ville océane
Le grondement des moteurs ne s’arrête plus aux carrefours de Pointe-Noire. Depuis quelques mois, des centaines de Wewa — ces moto-taxis reconnaissables à leurs gilets jaunes — slaloment entre camions de port et taxis collectifs, offrant des trajets éclairs au cœur des embouteillages légendaires.
Le phénomène, déjà visible à Sibiti, Dolisie et Nkayi, s’est amplifié dans la capitale économique. Ici, la chaussée défoncée limite souvent la vitesse des voitures ; les Wewa profitent de leur agilité pour filer dans les ruelles, jusqu’aux quartiers que les bus desservent mal.
Un remède express aux bouchons chroniques
Pour de nombreux riverains, ces motos sont devenues l’assurance d’arriver à l’heure au travail ou au marché. « En dix minutes, je traverse la ville », se réjouit Diane, vendeuse au Grand Marché, qui dépensait auparavant deux fois plus en taxi et en patience perdue dans la circulation.
Les Wewa séduisent aussi par leur tarif. Une course moyenne coûte moins qu’un ticket de bus longue distance, et le paiement s’effectue souvent sans monnaie grâce aux applications mobiles locales. Cette accessibilité explique leur percée, notamment dans les cités côtières éloignées du centre.
Un secteur informel créateur d’emplois
Devenir conducteur requiert un capital modeste : une moto d’occasion et un gilet réfléchissant. « C’est la solution que j’attendais », confie Josué, 24 ans, ancien pêcheur. Il dit générer l’équivalent du salaire minimum chaque semaine, de quoi soutenir sa famille et rembourser son emprunt.
Selon plusieurs associations de jeunes, ce micro-entrepreneuriat absorbe une partie du chômage urbain. Les mécaniciens de quartier et les vendeurs de pièces détachées bénéficient également de ce nouvel écosystème, qui injecte un revenu quotidien dans l’économie populaire.
Le revers de la médaille sécuritaire
L’absence de formation adéquate inquiète cependant les services de santé. Les urgences de l’hôpital Adolphe-Sicé reçoivent régulièrement des blessés de la route impliquant un Wewa. Les médecins citent la conduite sans casque, le transport de deux passagers, parfois un enfant, et la méconnaissance du code routier.
Un rapport interne de la Direction départementale des transports estime que les moto-taxis représentent une part notable des accidents urbains. « Nous ne pouvons pas interdire un service apprécié, mais nous devons protéger la vie », insiste un cadre du centre de sécurité routière, plaidant pour un permis spécifique.
Des autorités à l’écoute des conducteurs
La mairie de Pointe-Noire a démarré des réunions avec les coopératives de Wewa afin d’élaborer un cahier des charges. Parmi les pistes avancées : contrôle technique semestriel, formation obligatoire de trois jours et plaque numérotée visible sur le gilet. Les syndicats se disent prêts à collaborer.
« Nous voulons travailler en toute légalité », assure Marcel Makosso, porte-parole d’un collectif de 300 pilotes. Il propose un fonds d’assurance mutuelle, financé par une cotisation quotidienne, qui couvrirait les accidents et offrirait aux familles un filet social inédit dans ce segment.
Quand l’innovation numérique se met en selle
Des start-up congolaises testent déjà des applications de géolocalisation permettant de commander un Wewa certifié, de suivre l’itinéraire en temps réel et d’évaluer la conduite. Ces outils pourraient rassurer les passagers et fournir aux autorités des données précieuses sur les flux de mobilité.
En parallèle, des modules d’éco-conduite sont en cours de développement avec des partenaires techniques. L’objectif est de réduire la consommation de carburant et de limiter les émissions dans une ville côtière où la brise océanique ne suffit plus à dissiper la pollution liée au trafic.
La population partagée mais confiante
Si certains habitants dénoncent le vacarme des pots d’échappement, beaucoup louent la réactivité des Wewa. « Sans eux, je manquerais mon poste de garde », reconnaît André, infirmier de nuit. Les commerçants confirment que leurs clients arrivent plus régulièrement depuis l’expansion du service.
Les parents restent néanmoins vigilants. Jeanne, mère de deux collégiens, rappelle à ses enfants de vérifier que le conducteur porte un casque et respecte les feux. La sensibilisation familiale complète ainsi les campagnes d’affichage menées par la préfecture pour un comportement routier responsable.
Vers un modèle de mobilité congolais
Experts et élus entrevoient une opportunité : transformer ce « mal nécessaire » en levier de développement urbain. Avec un cadre clair, les Wewa pourraient désengorger durablement les artères, stimuler l’économie locale et inspirer d’autres villes du pays, tout en consolidant l’image d’une gouvernance proche des préoccupations citoyennes.
Le défi consiste désormais à allier flexibilité et discipline. Les discussions engagées laissent entrevoir une réglementation progressive, respectueuse de la réalité sociale des conducteurs. Dans les mois à venir, Pointe-Noire pourrait bien devenir le laboratoire national d’une mobilité agile, inclusive et résolument congolaise.