Un colloque pour raviver la mémoire historique
Du 9 au 12 septembre, le Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza réunit universitaires, représentants royaux et autorités autour du 145ᵉ anniversaire du traité Makoko-De Brazza. L’événement, placé sous le thème « Sur la route de l’histoire », veut transformer une commémoration en acte vivant de transmission.
Belinda Ayessa, directrice du Mémorial et présidente du comité d’honneur, a souhaité que cette rencontre soit « une circonstance de réappropriation » de l’accord signé le 10 septembre 1880 entre le roi Makoko Iloo Iᵉʳ et l’explorateur franco-italien Pierre Savorgnan de Brazza.
Devant un parterre mêlant chercheurs congolais, historiens français et délégations royales venues du Bénin et du Gabon, elle a invité le public à « aiguiser le regard croisé » que l’anthropologie sociale porte sur le passé. L’objectif affiché est clair : donner sens à une mémoire partagée.
Le traité Makoko-De Brazza, un jalon controversé
Signé en pleine expansion coloniale, le traité avait officialisé des liens d’amitié et de protection entre le royaume Téké et la France. Pour Reine Eugénie Mouayini Opou, coordonnatrice du colloque, « il demeure au cœur de débats sur ses implications politiques et territoriales ».
Cet accord, scellé à Mbé puis ratifié à Paris, a ouvert la voie à la création de l’Afrique équatoriale française. Certains y voient un dialogue diplomatique précoce, d’autres une cession imposée. Le colloque entend sortir de l’opposition stérile pour étudier les faits dans leur complexité historique.
Des voix convergentes pour une mémoire partagée
Dans sa leçon inaugurale, le prince héritier Téké, Ericson Opou, a déclaré que la rencontre « n’est pas une cérémonie figée dans la mémoire, mais un rite collectif de renaissance ». Selon lui, faire dialoguer gardiens de traditions et historiens forge un récit inclusif.
Un message du roi de Mbé, transmis par Michel Ganari, encourage les participants à interroger le passé « sans honte » et à poursuivre l’accompagnement du Chef de l’État pour que le traité ne sombre pas dans l’oubli. Les mots du souverain ont été accueillis par de chaleureux applaudissements.
À la tribune, le professeur d’histoire moderne Marius Mampouya a rappelé que « la mémoire qui divise peut aussi rassembler si elle est partagée ». Il plaide pour la création de programmes éducatifs intégrant les deux versions de l’événement : celle des archives françaises et celle gardée par les cours royales.
La jeunesse au cœur de la transmission
Plusieurs ateliers thématiques accueillent des étudiants de l’Université Marien-Ngouabi. Ils planchent sur les représentations du traité dans les manuels scolaires, la portée symbolique des signatures royales et les récits oraux conservés dans les familles Téké.
« Nous voulons sortir d’une histoire qui reste dans les vitrines des musées », confie Armelle Loufoua, étudiante en master de patrimoine. Son groupe propose d’enregistrer des témoignages de villageois de Mbé pour une exposition interactive que le Mémorial envisage de diffuser sur les réseaux sociaux.
Une symbolique forte au service de la cohésion
À l’issue de la séance d’ouverture, Belinda Ayessa et le représentant de la cour royale du Bénin ont reçu des pagnes en raphia, présents chargés de sens. Offerts par le roi de Mbé, ils matérialisent l’alliance historique entre peuples riverains du fleuve Congo.
« Le raphia symbolise la continuité : il relie nos ancêtres et nos enfants », explique Michel Ganari. Posés sur les épaules des invités, les étoffes ont suscité une vive émotion dans la salle, rappelant que les gestes symboliques peuvent parfois parler plus fort que de longs discours.
Les participants ont également observé une minute de recueillement en mémoire des signataires disparus. Ce moment solennel a souligné la dimension spirituelle que de nombreux intervenants attribuent au traité, considéré comme charnière entre l’ordre ancestral et la modernité.
Perspectives et recommandations des experts
Les historiens réunis proposent la mise en réseau de centres d’archives du Congo et de la France afin de numériser les documents liés au traité. L’ambition est de rendre ces sources accessibles aux chercheurs et au grand public dans un souci de transparence scientifique.
Sur le plan culturel, le colloque recommande de renforcer les échanges artistiques entre les communautés Téké, Vili et Kongo pour illustrer la pluralité des regards. Des spectacles de danse patrimoniale et des performances théâtrales devraient clôturer la rencontre, créant ainsi un pont entre conférence académique et expression populaire.
Enfin, un comité de suivi piloté par le Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza devrait être installé. Sa mission : dresser un état des lieux annuel des avancées en matière d’enseignement, de sauvegarde et de vulgarisation de cette page d’histoire, en étroite collaboration avec les ministères concernés.
Un rendez-vous inscrit dans la durée
Belinda Ayessa rappelle que la dynamique engagée depuis 2015 autour du Mémorial vise à valoriser le dialogue intergénérationnel et international. « Nous ne voulons plus commémorer seulement des dates, mais co-construire notre futur sur une connaissance critique de notre passé », affirme-t-elle.
Après Brazzaville, l’équipe organisatrice envisage de porter une exposition itinérante à Pointe-Noire, Dolisie et Owando. Chaque ville proposerait des conférences grand public, des projections documentaires et des ateliers artistiques pour toucher les populations éloignées des centres universitaires.
Les retombées économiques ne sont pas négligeables : hôteliers, artisans et transporteurs brazzavillois profitent de l’afflux d’invités. La manifestation illustre ainsi le potentiel d’un tourisme culturel responsable et inscrit dans la politique de diversification prônée par les autorités nationales.
Au-delà de la commémoration, un pacte social
Tout au long des débats, les intervenants ont mis l’accent sur la nécessité de transformer la mémoire en instrument de cohésion. Pour Reine Eugénie Mouayini Opou, « partager l’histoire, c’est aussi briser les tabous et reconnaître des racines communes ».
Cette démarche contribue à renforcer l’unité nationale autour d’un passé assumé. Elle s’inscrit dans la vision du président Denis Sassou Nguesso, qui encourage la valorisation du patrimoine comme levier d’intégration et de développement. Les conclusions du colloque seront prochainement transmises aux instances gouvernementales.
En refermant les travaux, Ericson Opou a lancé un appel à la vigilance collective : « L’histoire n’est pas un musée, c’est un chemin. Elle nous oblige. » Une manière de rappeler que la plus grande richesse du traité Makoko-De Brazza reste peut-être la capacité qu’il offre de construire, encore aujourd’hui, des ponts vivants entre les peuples.