Brazzaville se mobilise pour l’inclusion
Le 11 septembre, dans la salle polyvalente d’un centre social de Mfilou, 22 femmes handicapées ont reçu des congélateurs, glacières, bidons d’huile ou fours flambant neufs. Pour certaines, c’est la première fois qu’elles repartent d’une cérémonie avec un outil de travail plutôt qu’un simple acte symbolique.
Dans l’assistance, les applaudissements ont couvert l’émotion. Ces bénéficiaires constituent la deuxième cohorte du projet « Kotonga », mot lingala qui signifie « se relever ». L’initiative, portée par l’ONG congolaise Handicap Humanité (H2O), vise à transformer la solidarité en revenus durables.
« Ces kits représentent un capital pour bâtir votre indépendance », a rappelé le président du conseil d’administration de H2O, Jean Blaise Bilombo, avant de remettre les équipements un à un, sous l’œil attentif des familles et des partenaires institutionnels.
Des kits pour un envol économique
L’axe 1 du projet entend autonomiser cinquante jeunes filles et femmes handicapées victimes de violences multiformes. Chaque trousse de départ a été conçue selon le projet professionnel de la bénéficiaire : vente de boissons fraîches, pâtisserie, restauration ou even jeux récréatifs avec baby-foot.
Un congélateur chargé de poissons surgelés peut générer, selon les comptabilités de H2O, jusqu’à 40 000 F CFA de marge mensuelle. « Au lieu d’un congélateur, vous devez pouvoir en acheter deux d’ici un an », a insisté Jean Blaise Bilombo, encourageant l’effet boule de neige économique.
Le coût global de cette deuxième vague est estimé à 7,5 millions de F CFA, financés par des partenaires privés et des contributions locales. « Le micro-business fait ses preuves, surtout quand il est pensé par et pour les femmes », souligne une responsable de programme de l’ONG.
Un programme pensé pour l’autonomie féminine
Kotonga ne se limite pas à la dotation matérielle. Les bénéficiaires ont suivi, en amont, une formation de quatre semaines : gestion de trésorerie, marketing de proximité, techniques de conservation des produits périssables. Les ateliers ont été animés par des experts comptables bénévoles et des entrepreneures confirmées.
« Je ne savais pas qu’on pouvait calculer un seuil de rentabilité si simplement », confie Clarisse, mère d’un garçon de quatre ans. Elle a obtenu un kit combinant glacière et sacs de riz qu’elle écoulera dans son quartier de Moukondo.
Les modules incluent également un volet développement personnel : estime de soi, gestion du stress et droits des personnes handicapées. « Nous voulons des cheffes d’entreprise debout, pas des assistées », insiste un coach partenaire.
Un suivi de proximité pour garantir les résultats
Le secrétaire national adjoint au Conseil consultatif des personnes vivant avec handicap, Emmanuel Bati, a annoncé qu’une équipe d’enquêteurs visitera chaque micro-entreprise tous les trimestres. Objectif : vérifier l’utilisation effective du matériel et proposer un appui technique si nécessaire.
« Nous sommes dans l’accompagnement, pas dans la punition », précise-t-il, tout en rappelant que les kits restent la propriété des bénéficiaires. En cas d’abandon, ils pourraient être réaffectés à une autre femme de la liste d’attente.
La cheffe de la circonscription d’action sociale de Mfilou-Ngamaba, Ida Yann Paka, applaudit l’approche : « Votre réussite fera la fierté de tout le district ». Elle encourage les entrepreneuses à constituer une tontine pour mutualiser épargne et conseils.
Témoignages de la deuxième cohorte
Sylvie, polio à la jambe gauche, lance une petite poissonnerie devant son domicile. « Je rêvais d’un congélateur depuis trois ans », souffle-t-elle, sourire large. Sa voisine Mireille prépare déjà ses premières fournées de biscuits au four offert par le projet.
Les jeunes filles-mères saluent un changement de regard. « La société nous voit d’abord comme des personnes vulnérables », explique Nadège. « Avec ce kit, on me voit surtout comme commerçante ».
À la fin de la cérémonie, plusieurs bénéficiaires ont échangé leurs numéros afin de créer un réseau Whatsapp d’entraide. « Les réussites seront partagées en direct », promettent-elles.
L’inclusion des personnes handicapées, une priorité nationale
Le Congo s’est doté d’une loi sur la promotion et la protection des personnes handicapées, saluée par les acteurs associatifs. Des programmes de micro-crédit, d’accessibilité des bâtiments publics et d’insertion scolaire sont progressivement mis en œuvre.
L’initiative Kotonga s’inscrit dans ce cadre plus vaste, en mobilisant la société civile aux côtés des pouvoirs publics. « L’État ne peut pas tout faire seul ; les associations sont nos relais de proximité », rappelle un responsable du ministère des Affaires sociales présent à la cérémonie.
En zone urbaine, plus de 60 % des personnes handicapées vivent d’activités informelles. Outiller ces initiatives améliore le tissu économique local tout en renforçant la cohésion sociale.
Hygiène menstruelle et santé reproductive, l’autre volet
Dans son programme triennal 2023-2025, Handicap Humanité met aussi l’accent sur la santé reproductive. Fin août, une délégation s’est rendue à Mpengui, Kingoué et Mabombo, dans la Bouenza, pour des ateliers sur l’hygiène menstruelle adaptés aux réalités du handicap (ACI).
Des kits de protection réutilisables, des notices en braille et des séances de sensibilisation aux violences basées sur le genre ont été distribués. « La dignité passe aussi par le confort sanitaire », fait valoir la coordinatrice de terrain.
Les participantes ont exprimé leur soulagement : « Nous n’avons plus à choisir entre acheter du savon et des serviettes », rapporte Régine, agricultrice malvoyante.
Perspectives et défis pour 2024
Pour la troisième cohorte, prévue au premier semestre 2024, H2O vise la formation de vingt-six nouvelles bénéficiaires, dont cinq issues de la Bouenza. Les kits devraient intégrer des équipements numériques pour encourager le commerce en ligne.
Le principal défi reste la pérennisation des micro-entreprises. L’ONG envisage d’ouvrir un centre de ressources à Brazzaville, où les femmes pourront louer du matériel supplémentaire, imprimer des supports promotionnels ou suivre des cours de comptabilité avancée.
« Nous capitalisons sur les succès des deux premières promotions pour convaincre de nouveaux bailleurs », conclut Jean Blaise Bilombo. Les 22 femmes de cette cohorte, désormais dotées, incarnent cet espoir contagieux de résilience et de croissance inclusive.