Un centre artisanal né de la débrouille
Dans une ruelle sablonneuse du quartier Mikalou, le ronron d’un groupe électrogène attire l’oreille avant l’œil. Entre pièces graisseuses et moteurs démontés, Jules Batantou, 42 ans, fait tourner un atelier minuscule devenu, pour des dizaines de personnes vivant avec handicap, une porte vers l’autonomie.
Autodidacte, l’homme a passé vingt ans à apprendre, vis et écrous en main, la mécanique des générateurs qui remplacent souvent le réseau électrique municipal. Depuis trois ans, il transmet gratuitement ce savoir à ses pairs, convaincu que « le meilleur secours, c’est un métier », confie-t-il.
Former pour rendre libre
En trois sessions annuelles, quinze apprenants ont suivi la formation de maintenance, démontage, bobinage et commercialisation des pièces détachées. Trois d’entre eux tiennent désormais leur propre échoppe mécanique à Makélékélé, Talangaï et Ouénzé, signe tangible qu’un petit banc d’atelier peut transformer un destin.
« Avant, je me pensais condamné à mendier, aujourd’hui je facture mes services », raconte Aristide Ngoma, 29 ans, amputé de la jambe gauche après un accident de moto. Sa fierté perce dans sa voix quand il montre les tickets qu’il vient d’émettre pour un hôtel du centre-ville.
Canaliser les vacances, combattre le phénomène Koulouna
Au-delà des Pvh, l’atelier accueille des adolescents sortis précocement du système scolaire. Moyennant 35 000 FCFA pour six mois, ils apprennent également l’électricité domestique. Selon Jules Batantou, occuper leur journée réduit la tentation de rejoindre les « Koulouna », ces bandes de jeunes qui inquiètent les quartiers.
Le commissaire de police du sixième arrondissement, interrogé sur place, confirme « une baisse des attroupements turbulents près de l’avenue de l’Université depuis que certains gamins passent leurs après-midi à l’atelier ». Il salue « une initiative citoyenne qui mérite un accompagnement institutionnel ».
Un marché porteur, malgré les coupures d’énergie
La demande en réparation de groupes électrogènes reste forte à Brazzaville, conséquence directe des délestages réguliers. Selon le Syndicat national des électriciens, plus de 60 % des petites entreprises possèdent un générateur d’appoint, ouvrant un marché continu pour les techniciens formés localement.
L’économiste Flore Nkoulou y voit « un exemple d’économie inclusive ». Pour elle, « former des Pvh à un métier demandé aligne la politique d’emploi urbain sur les recommandations de la Banque mondiale en matière de croissance partagée ». Elle estime que chaque technicien autonome crée deux emplois indirects.
Des obstacles matériels persistants
Le revers, reconnaît Jules, reste le matériel. Un coffret d’outils complet coûte plus de 150 000 FCFA, hors de portée des débutants. « Si je pouvais constituer dix mallettes, je doublerais la promotion », soupire-t-il, montrant des clés usées qu’il fait tourner entre ses paumes calleuses.
Le ministère des Affaires sociales confirme avoir reçu une demande de subvention. « Le dossier est en instruction, nous examinons la possibilité d’un appui en équipements dans le cadre du Fonds d’insertion des personnes handicapées », indique un responsable, sans avancer d’échéance précise, tout en saluant une démarche jugée exemplaire.
Des savoirs adaptés aux capacités de chacun
À l’atelier, chaque poste a été aménagé pour tenir compte des contraintes physiques. Les établis sont abaissés, les étaux équipés de pédales. « Ici, on cherche la position confortable avant de chercher la panne », sourit Jules, persuadé que l’accommodement matériel accélère les progrès techniques.
La pédagogie privilégie la pratique. Trois jours par semaine, les apprentis démontrent devant le maître les procédures de vidange, de test d’alternateur et de recalage d’avance. L’après-midi, ils partent en intervention chez un client pour facturer, dès la première semaine, un petit service rémunéré.
Un futur centre de certification
L’ambition suivante est de faire labelliser la formation par le Centre de formation et d’apprentissage aux métiers de l’énergie. Des discussions préliminaires sont engagées. Une certification offrirait aux diplômés un statut reconnu, facilitant l’accès aux marchés publics et aux contrats d’entretien des administrations.
Maître Batantou réfléchit également à une antenne mobile pour Pointe-Noire. Avec un tricycle équipé d’un banc d’essai, il pourrait former sur site les populations côtières, où les hôtels consomment énormément de carburant pour compenser les coupures. Il recherche des partenaires pour financer l’engin et le carburant.
Reconnaissance et inspiration
Le collectif local des artisans handicapés salue « un modèle de résilience qui change le regard sur notre communauté ». Dans les couloirs du lycée technique du 1er Mai, le nom de Jules revient souvent. « Il me prouve qu’on peut réussir dans le privé sans attendre un concours », souffle Diane, élève en mécanique.
Pour l’heure, le petit atelier continue de vibrer au rythme des pistons qu’on polit. Entre brasero de soudure et radio crachotante, Julius Batantou rêve d’un bâtiment plus vaste, ouvert sept jours sur sept. Il répète souvent: « Le handicap, c’est l’oisiveté. Le travail, c’est la liberté ».
Vers un écosystème numérique
Afin de toucher d’autres quartiers, Jules expérimente depuis juillet un groupe WhatsApp où ses anciens élèves partagent diagnostics et devis. Les messages vocaux remplacent les manuels, permettant aux malvoyants d’accéder aux explications sans obstacle.
Un partenariat avec la startup congolaise Mboté-Tech est en discussion pour développer une application de tutoriels audio-guidés. Si le projet aboutit, Brazzaville deviendra la première ville d’Afrique centrale à proposer un apprentissage mobile dédié à la maintenance de groupes électrogènes pour personnes en situation de handicap.