Un appel solennel à Brazzaville
Dans la salle polyvalente du quartier Makélékélé, les applaudissements résonnaient encore lorsque Sébastien Elion a pris la parole. Le président de l’Association pour la promotion, la langue et la culture Gangulu venait sceller la naissance officielle d’un mouvement tourné vers l’avenir, mais ancré dans une histoire multimillénaire.
Face à un auditoire mêlant notables, étudiants et enfants, il a lancé un appel clair : préserver la langue gangulu afin de transmettre « le savoir, les traditions, les mœurs et les coutumes ». Un message qui résonne dans tout le département des Plateaux, berceau de cette communauté.
Langue gangulu : un trésor menacé
Dans un environnement où l’urbanisation et les écrans bousculent les codes, la langue gangulu ne compte plus qu’un nombre d’usagers estimé à quelques milliers, essentiellement âgés. D’après M. Elion, chaque locuteur qui se tait « referme un livre d’histoires que personne ne relira ».
Les linguistes rappellent qu’une langue disparaît toutes les deux semaines dans le monde. Au Congo-Brazzaville, l’Unesco classe déjà plusieurs idiomes parmi les langues en danger. « Perdre un idiome, c’est aussi perdre une pharmacopée, une toponymie, une vision du monde », souligne le chercheur Antoine Mbemba.
Chez les Gangulu, la menace est accentuée par l’exode des jeunes vers Brazzaville et Pointe-Noire, où le lingala, le français ou parfois l’anglais s’imposent. À la maison, nombre d’entre eux répondent en français aux salutations en gangulu de leurs parents, signe subtil d’un glissement linguistique.
Jeunesse et identité culturelle
Pourtant, la fierté identitaire reste vive. La jeune professeure Olivia Bokeli confie qu’apprendre la langue gangulu à ses élèves du collège de Djambala « favorise la confiance et la solidarité ». Selon elle, maîtriser sa langue maternelle n’empêche pas de s’ouvrir aux sciences et aux technologies.
Dans de nombreux foyers, des concours de proverbes annoncés sur WhatsApp relancent l’attrait. Les adolescents filment leurs grands-mères racontant des contes nocturnes, puis partagent les vidéos sur TikTok, générant des milliers de vues. Ce mélange d’oralité ancestrale et de numérique crée un pont inattendu entre générations.
L’historien Paul Kounkou note que « les nouvelles technologies deviennent un outil de réappropriation culturelle ». Pour lui, l’enjeu n’est plus de rejeter la modernité, mais de l’utiliser comme un allié. Ce constat rejoint la stratégie défendue par l’association Aplcg, tournée vers la créativité.
Actions concrètes de l’Aplcg
Créée par une poignée d’enseignants et de chefs traditionnels, l’Aplcg veut d’abord recenser les locuteurs natifs. Un inventaire sera mené village par village dès octobre, afin d’élaborer une cartographie linguistique précise, indispensable à toute initiative pédagogique et à l’élaboration d’un dictionnaire.
L’association prévoit également l’édition d’un manuel bilingue gangulu-français pour les classes de CP et CE1. La conception graphique sera confiée à de jeunes illustrateurs de Brazzaville, tandis que le contenu sera validé par un comité de savants, garantissant à la fois rigueur linguistique et attractivité.
Dans le même élan, un festival annuel baptisé « Madianga » réunira troupes de danse, conteurs et artisans. La première édition est envisagée à Djambala en août prochain. Aux côtés des stands gastronomiques, des ateliers d’initiation à l’écriture gangulu seront proposés aux écoliers.
Appuis institutionnels et partenaires
Le ministère de la Culture suit de près le dossier. « Nous accompagnerons les démarches de normalisation orthographique », assure le directeur de la valorisation patrimoniale, Isidore Mouangali. Un protocole d’accord devrait être signé, ouvrant la voie à des subventions et à l’intégration progressive au programme scolaire.
Les collectivités locales envisagent, elles, d’ériger des panneaux bilingues sur les routes départementales afin de familiariser automobilistes et élèves aux toponymes gangulu. La société civile s’implique aussi : l’ONG Azur Développement propose une version audio du futur dictionnaire, accessible gratuitement sur téléphone basique.
A l’international, l’Organisation internationale de la Francophonie a salué l’initiative, rappelant que la diversité linguistique est une richesse mondiale. Des échanges sont en cours pour financer des bourses destinées à de jeunes chercheurs congolais souhaitant documenter les chants, le folklore et les rites gangulu.
Perspectives et responsabilité collective
Le défi est vaste : il faudra former des enseignants, adapter les examens et surtout convaincre les parents de parler gangulu dès le berceau. « La transmission commence autour du feu, pas seulement à l’école », rappelle la cheffe traditionnelle Nkissi Mavoua, invitée de la cérémonie.
Pour beaucoup, la revitalisation d’une langue dépasse la culture. Elle s’inscrit dans la dynamique de développement locale : tourisme communautaire, artisanat certifié, filières agricoles valorisant les savoirs endogènes. « La langue, c’est aussi l’économie de demain », estime le sociologue Guy-Roger Nganga.
En marge de la sortie officielle, plusieurs start-up congolaises spécialisées dans les applications éducatives ont proposé de développer un module interactif en réalité augmentée. Les discussions se poursuivent pour lancer un prototype avant la fin de l’année.
À l’issue de la cérémonie, les tambours ont retenti, rappelant que chaque battement prolonge un héritage. Le pari de l’Aplcg repose désormais sur l’adhésion de tous, du village à la diaspora. Car préserver une langue, c’est tisser un futur commun à voix multiples.