Une héroïne noire qui ose la modernité
Avec le second tome de « Black in the City », Marie Munza propulse son héroïne Amanda Parks sur les toits de Paris, entre incubateurs de start-up et souvenirs du Congo. Le livre, sorti cette semaine en librairie, confirme le succès d’une saga sociétale ambitieuse.
L’autrice, née à Brazzaville et installée en France depuis l’adolescence, revendique la même quête d’équilibre identitaire que son personnage. « Je veux donner à voir une héroïne noire qui incarne pleinement la modernité », résume-t-elle lors d’une rencontre organisée à Pointe-Noire.
Un parcours entre Congo et France
Entre les rives du fleuve Congo et les quais de la Garonne, la romancière a longtemps jonglé avec deux paysages culturels. Elle raconte avoir grandi « la valise toujours prête », apprenant à transformer le déracinement en matière première d’imagination plutôt qu’en fracture intime.
Cette double appartenance nourrit chaque page du roman. Dans une scène, Amanda savoure un saka-saka commandé à Château-Rouge avant de filer à un afterwork branché dans le Marais. Le contraste, loin du cliché, sert de moteur narratif et interroge le lecteur sur la pluralité des identités.
Munza voit dans cette oscillation « une respiration ». Ni nostalgie béate, ni assimilation forcée, mais la conviction qu’on peut habiter plusieurs mondes à la fois. Cette philosophie traverse la plume de l’autrice, tissant des ponts invisibles entre Brazzaville, Bordeaux, Paris et même Londres.
L’entrepreneuriat, moteur d’émancipation
Le nouvel opus place l’entrepreneuriat au cœur de l’action. Amanda, consultante au sourire désarmant, claque la porte d’un cabinet prestigieux pour lancer sa plateforme de conseils en beauté éthique. « Créer ses propres règles devient un geste politique », insiste la romancière, applaudie par le public.
Dans la fiction, la start-up sert aussi de loupe sociale. Les réunions d’investisseurs, les recherches de financements, les biais parfois inconscients auxquels la fondatrice doit répondre, tout est décrit avec minutie. L’autrice s’appuie sur son expérience dans la communication digitale pour ancrer l’intrigue dans le concret.
Pour le sociologue Alain Biyolé, invité au lancement, « cette représentation d’une femme noire créant de la valeur change la donne : elle expose les mécanismes d’exclusion mais montre qu’ils peuvent être contournés ». Une prise de position qui résonne avec l’intérêt croissant des jeunes pour l’entrepreneuriat.
Influences littéraires multiples
Privée enfant de modèles qui lui ressemblent, Munza confie avoir trouvé des ressources chez Chimamanda Ngozi Adichie, Maya Angelou ou encore Léonora Miano. Elle cite ces plumes « capables de mêler l’intime et le politique », une ambition qu’elle souhaite à son tour incarner pour le lectorat francophone.
Amanda Parks naît donc à la croisée de ces influences. Son parler franc convoque la poésie d’Angelou, son regard sur le colorisme rappelle Adichie, tandis que sa lucidité sociale s’inscrit dans le sillage de Miano. Cette combinaison donne un personnage hybride, séduisant par sa complexité et son humour.
L’autrice revendique en parallèle une fidélité au patrimoine littéraire congolais, citant Sony Labou Tansi pour la puissance des images et Henri Lopes pour la finesse de l’observation sociétale. « J’ai grandi avec ces voix, elles éclairent mes phrases », assure-t-elle, sourire aux lèvres.
De la poésie au roman sociétal
Avant le roman, Munza avait publié le recueil de poésie « Motéma ». Elle y explorait les douleurs migratoires avec une langue ciselée. Ce sens du rythme n’a pas disparu : dans « Black in the City », chaque chapitre s’ouvre par quelques vers qui agissent comme des respirations.
Passer de la fulgurance du poème à l’architecture romanesque lui a permis d’élargir le cadre. L’autrice confie qu’elle voulait « regarder comment une émotion individuelle circule dans la société, se transforme, se politise ». Le format série ouvre aussi la possibilité d’accompagner Amanda sur la durée.
Le troisième tome, déjà en cours d’écriture, explorera la question de la transmission familiale. Munza promet d’y faire vibrer davantage Brazzaville, « pour rappeler que le futur se nourrit du passé ». Une perspective guettée par ses lectrices, très actives sur les réseaux sociaux.
Inspirer une génération
Au-delà des chiffres de vente, l’autrice espère susciter des vocations. Lors d’un atelier organisé à l’Institut français de Brazzaville, plusieurs lycéennes ont confié s’être senties « vues » grâce à Amanda. Munza y voit la preuve qu’une représentation positive peut devenir un levier de confiance, en milieu scolaire.
« Si une seule personne ose rêver plus grand après avoir refermé le livre, j’aurai gagné », glisse-t-elle. Avec son héroïne noire, entreprenante et ancrée dans la réalité française, Marie Munza rappelle qu’un personnage de fiction peut parfois ouvrir les portes du réel pour toutes et tous.
Prochain défi de la romancière : adapter la saga à l’écran. Des discussions seraient engagées avec un studio basé à Dakar et un autre à Paris. « Je veux que l’image porte autant que les mots », affirme-t-elle, consciente du pouvoir des séries pour toucher un nouveau public.