Un front d’érosion surveillé
Au cœur du quartier Sadelmi, dans le septième arrondissement de Brazzaville, la cour sablonneuse de l’école primaire publique d’Itsali se termine désormais sur un précipice. À chaque averse, une veine de terre cède, creusant un ravin qui se rapproche des salles de classe.
Les riverains se souviennent qu’il y a cinq ans, l’érosion se trouvait à plus de cinquante mètres. Aujourd’hui la distance se mesure en enjambées. La prochaine saison des pluies, attendue dès septembre, pourrait devenir le test décisif pour l’établissement et les maisons déjà fragilisées.
Des parents entre inquiétude et espoir
« Nous n’avons pas d’autre option publique dans le secteur », rappelle Eugénie Mialoundama, mère de trois enfants inscrits à Itsali. Comme d’autres foyers modestes, elle redoute devoir recourir à une école privée éloignée, aux frais de scolarité hors de portée.
Pulchérie Mampoundzoko, jeune commerçante, se souvient de la visite récente du ministre de l’Enseignement primaire et du maire de Brazzaville. « Nous avons applaudi leur venue. Depuis, aucune pelleteuse n’est revenue », dit-elle, craignant que les prochains nuages effacent ces promesses symboliques.
Les autorités locales mobilisées
L’hôtel de ville assure pourtant suivre le dossier. Contacté, un cadre technique souligne que des études de stabilisation hydraulique sont en cours de finalisation. « La priorité est de sécuriser l’école avant novembre », précise-t-il, évoquant un budget partagé entre État et municipalité.
Selon le ministère des Travaux publics, une équipe mixte a déjà cartographié la pente et identifié des sources souterraines d’eau qui alimentent la ravine. Les ingénieurs recommandent de drainer ces infiltrations, puis de construire un mur en gabions sur soixante mètres pour protéger la cour.
Enjeux éducatifs cruciaux pour le quartier
L’école d’Itsali accueille près de huit cents élèves venus des quartiers Sadelmi, Ngamakosso et Kouloungou. Sa disparition imposerait un surcroît d’effectifs dans les établissements voisins, déjà saturés, avec un risque de double vacation et un allongement des trajets pour les plus jeunes.
« Perdre un lieu d’éducation primaire, c’est perdre un repère social », observe le sociologue Jean-Félix Bouesso, qui étudie les dynamiques urbaines de Brazzaville. Pour lui, la protection du site renvoie aussi à la lutte contre la déforestation et l’occupation désordonnée des sols.
Des pistes techniques pour stabiliser le sol
La première étape consiste à canaliser les eaux pluviales qui descendent de la colline de Matou. Des caniveaux en béton, doublés de grilles, permettraient de guider le ruissellement vers la rivière Mfilou, évitant l’érosion latérale qui attaque le terrain de football scolaire.
Vient ensuite le reboisement des berges. Le Centre national d’inventaire et d’aménagement des ressources forestières propose de planter des essences locales comme le ngungu, dont les racines profondes renforcent le sol. Une pépinière communautaire pourrait fournir vingt mille plants d’ici la fin de l’année.
La voix des experts en géotechnique
Le géotechnicien Arsène Itoua plaide pour un suivi scientifique continu. « Les mouvements de terrain doivent être mesurés chaque semaine durant la saison humide. Nous saurons ainsi ajuster les ouvrages en temps réel », explique-t-il, rappelant que le coût de la prévention reste inférieur à celui d’une reconstruction.
Les données collectées seront partagées avec l’Université Marien-Ngouabi, où des étudiants en géologie appliquée pourront réaliser des mémoires sur les ravines urbaines. Cette collaboration académique vise à renforcer les compétences locales et à alimenter une base de données en libre accès pour les collectivités.
Appels solidaires de la société civile
Les associations de quartier ont, de leur côté, lancé une cagnotte mobile pour financer des sacs de sable et des brouettes de latérite. « Chacun participe selon ses moyens », indique Daniel Litomo, chef de famille, convaincu que la solidarité peut retarder la progression du gouffre.
Les scouts catholiques de la paroisse Saint-Kisito organisent également, chaque samedi, des corvées de ramassage d’ordures pour éviter que les déchets bouchent les petits drains existants. Leur action pédagogique lie protection de l’environnement et éducation citoyenne auprès des écoliers et de leurs parents.
Vers une réponse concertée et durable
À Brazzaville, plusieurs écoles ont déjà bénéficié de programmes anti-érosion, notamment à Madibou et à Kintélé. Les techniciens estiment que les retours d’expérience, en particulier l’utilisation de pierres volcaniques locales, serviront de guide pour la sécurisation rapide du site d’Itsali.
Dans l’attente, la direction de l’école a révisé le plan d’évacuation des classes et sensibilise les élèves aux gestes de sécurité. Les répétitions d’alerte, effectuées avant chaque forte pluie, apprennent aux enfants à gagner les zones les plus stables.
Pour le comité de parents d’élèves, le dossier dépasse la seule urgence matérielle. « Protéger l’école, c’est protéger l’avenir du quartier », insiste sa présidente, Micheline Ossiala. Le comité souhaite intégrer le chantier dans le grand plan national de résilience climatique piloté par le gouvernement.
Si le calendrier est respecté, les travaux pourraient débuter en octobre. D’ici là, chaque averse sera observée avec attention, comme un rappel de la fragilité des sols et de la nécessité, partagée par tous, de conjuguer expertise, financement et engagement citoyen durable.