La saison humide s’annonce
Chaque année, la capitale retient son souffle à l’approche des premières pluies. Dans le septième arrondissement de Brazzaville, l’avenue de l’Union africaine, qui longe le collecteur naturel de la Tsiémé, concentre toutes les appréhensions des riverains.
Depuis plusieurs saisons, ce tronçon essentiel pour rejoindre le centre-ville se transforme en bras de rivière sitôt la pluie installée, ralentissant voitures, bus et motos, et compliquant la marche des habitants de Kombo-Matari et des étudiants gagnant les campus voisins.
Les premiers nuages d’octobre suffisent à réveiller les souvenirs : chaussées fissurées, flots brunâtres, embouteillages interminables et alarmes de téléphones saturés de messages « on ne passe plus ». Autant de signaux que la période de vigilance est de retour.
Un tronçon clé sous l’eau
Sur environ deux cents mètres, la chaussée épouse un creux naturel qui capte le ruissellement de plusieurs quartiers en amont. Selon l’ingénieur Emmanuel M., rencontré sur place, le gabarit du canal de la Tsiémé « n’est plus dimensionné pour la densité actuelle de l’urbanisation ».
Lorsque la pluie persiste, l’eau franchit la bordure, ronge l’asphalte puis s’étale sur les deux voies. Les automobilistes créent des détours improvisés qui endommagent les accotements, accentuant la fragilité du site à chaque nouvelle averse.
Les services municipaux passent régulièrement pour combler les nids-de-poule avec du gravier, « mais dès la semaine suivante, il suffit d’une ondée et tout repart », soupire Florent, conducteur de taxi-bus numéro 504, habitué du trajet Mfilou-Centre-ville.
Traverser devient une expédition
À défaut de voitures, les habitants ont développé des solutions maison. Les plus pressés grimpent sur des pousse-pousse, planches posées sur bidons, que de jeunes débrouillards manœuvrent d’une rive à l’autre pour 250 FCFA la traversée, 500 FCFA avec bagages.
Quand le niveau monte encore, certains sortent des pirogues artisanales. Le ballet aquatique offre un spectacle insolite au milieu des immeubles, mais rappelle surtout la précarité des mobilités urbaines dans les zones sujettes aux aléas climatiques.
« Nous faisons avec ce que nous avons », explique Mireille, vendeuse de fruits dont l’étal borde la route. « Mais cette improvisation coûte cher. Les clients hésitent, les marchandises se mouillent et la journée de recettes s’envole littéralement avec l’eau. »
Quotidien bouleversé et santé fragilisée
La stagnation de l’eau favorise moustiques et microbes. Au centre de santé intégré du quartier, le docteur Koffi note « une recrudescence des cas de grippe, de dermatoses et parfois de paludisme durant les semaines post-averses ». Les consultations pédiatriques doublent fréquemment.
Les bouchons à l’arrêt de bus Capitaine, à quelques mètres du point bas, entraînent perte de temps et stress. Selon une estimation de l’association Mobilité citoyenne, « jusqu’à 2 000 heures de travail se volatilisent chaque jour de pluie sur cet axe ».
Économiquement, le coût dépasse le seul carburant gaspillé. Les réparations fréquentes des amortisseurs, l’absentéisme scolaire lié aux chaussures trempées et la baisse d’affluence des commerces de proximité fragilisent un tissu déjà éprouvé par l’inflation.
Les pouvoirs publics à l’œuvre
Le ministère de l’Équipement a cependant engagé, depuis l’an dernier, un vaste programme d’entretien des voiries secondaires. Selon un communiqué publié en août, l’avenue de l’Union africaine figure dans la liste prioritaire des 42 axes à réhabiliter avant fin 2024.
Les études de topographie sont achevées, assure la directrice départementale des travaux publics, Mme Pauline B. Les équipes se préparent à élargir le canal, poser des buses de grand diamètre et reprofiler la chaussée avec un enrobé drainant.
Le financement, obtenu auprès de partenaires internationaux, comprend aussi un volet sensibilisation. Des sessions seront animées dans les écoles pour expliquer l’importance de ne pas jeter ordures et gravats dans les caniveaux, principal facteur d’obstruction lors des épisodes pluvieux.
Pour l’hydrologue de l’université Marien-Ngouabi, Dr Nadège L., l’intensification des pluies observée ces dix dernières années complique les calculs. « Nous passons de 60 à parfois 100 millimètres en une nuit. La conception des ouvrages doit anticiper ces nouveaux régimes ».
Vers une résilience de quartier
À court terme, les habitants espèrent surtout une meilleure coordination des alertes météo. L’idée d’une application mobile municipale, testée à Ouesso, pourrait être adaptée : notifications de pluie imminente, conseils de déplacement et signalement communautaire des flaques dangereuses.
La mairie de Mfilou envisage également de relocaliser, d’ici 2025, les marchés de fortune installés en bordure de la Tsiémé afin de libérer les berges et permettre l’élargissement futur du lit. Un premier site de substitution est déjà identifié près du lycée Thomas-Sankara.
Sur le long terme, urbanistes et écologues prônent une stratégie de gestion intégrée des eaux pluviales. Noues végétalisées, dalles perméables et bassins de rétention offriraient autant de tampons naturels capables de réduire la pression sur le collecteur existant.
En attendant les travaux, la communauté s’organise. Des volontaires se retrouvent chaque samedi pour curer les caniveaux, conscients que la résilience commence à l’échelle du quartier. « Nous voulons passer de la peur à la prévention », résume Jules, président du comité local.