Un pas décisif à Brazzaville
À l’occasion de la Journée internationale des langues des signes, l’Institut des jeunes sourds de Brazzaville a annoncé l’ouverture, pour la rentrée 2025-2026, d’un lycée dédié aux élèves malentendants, première structure de ce niveau en République du Congo.
Le projet, salué par plusieurs associations de personnes handicapées, promet d’élargir l’accès au baccalauréat à des centaines de jeunes qui, faute d’offre adaptée, interrompent aujourd’hui leur scolarité au brevet d’études techniques.
Pourquoi un lycée spécialisé change la donne
Dans les salles de classe actuelles de l’Institut, écoliers et collégiens apprennent la langue des signes, le français écrit et des savoir-faire artisanaux, mais se heurtent au plafond du cycle moyen.
« Notre ambition est de leur permettre de poursuivre jusqu’au bac, puis vers l’enseignement supérieur ou l’entrepreneuriat », explique l’abbé Christophe Junior Mbani, coordonnateur de l’établissement, rappelant que l’égalité des chances passe aussi par l’accès à un diplôme reconnu.
Des filières adaptées et un bac accessible
Le futur lycée proposera quatre filières technologiques : menuiserie, couture, informatique et infographie, choisies pour leur fort potentiel d’emploi local et la possibilité de valoriser le talent visuel des élèves sourds.
Selon l’équipe pédagogique, chaque filière combinera cours théoriques, travaux pratiques et stages en entreprise afin d’assurer une insertion professionnelle rapide, en phase avec les orientations du ministère de l’Enseignement technique.
Les programmes seront entièrement adaptés, avec supports visuels et interprètes, mais resteront alignés sur les référentiels nationaux, de façon à garantir la même valeur juridique au diplôme délivré.
Le défi du financement quotidien
L’Institut, structure associative fondée en 1987, accueille majoritairement des enfants issus de foyers modestes ; nombre de parents peinent déjà à régler les 10 000 F CFA de frais d’inscription.
Pour ouvrir un lycée, il faudra recruter de nouveaux bénévoles et renforcer le parc matériel, estimé à plusieurs dizaines de millions de francs, notamment pour les ateliers et l’équipement informatique.
Solidarité recherchée auprès de la communauté
M. Mbani lance un appel aux entreprises, institutions et particuliers pour des dons en nature, « riz, haricots, huile, carburant », indispensables au fonctionnement des cuisines, des transports et des groupes électrogènes.
Ces contributions, déjà pratiquées lors des précédentes rentrées, ont permis de maintenir la cantine et d’offrir des kits scolaires, démontrant qu’un engagement local forte peut compenser partiellement les faiblesses budgétaires.
Former des enseignants à la langue des signes
Au-delà des infrastructures, l’enjeu principal reste la formation d’enseignants capables d’assurer la classe en langue des signes congolaise, encore peu proposée dans les cursus universitaires.
Chaque groupe devrait comprendre trois encadrants : un professeur de matière, un interprète et un éducateur spécialisé, modèle qui nécessite un important volontariat.
Le ministère de l’Éducation nationale, sollicité, étudie la possibilité d’introduire des modules spécifiques dans les écoles normales, tandis que des ONG proposent déjà des ateliers intensifs le week-end, ouverts au grand public.
Un enjeu national d’inclusion
Selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne sur dix présente une déficience auditive significative en Afrique sub-saharienne ; au Congo, les associations estiment le nombre de sourds à près de 60 000, souvent invisibles dans la vie économique.
La proclamation par l’ONU de la Journée des langues des signes en 2017 a encouragé de nombreux États, dont la République du Congo, à intégrer la question du handicap auditif dans leurs plans nationaux d’inclusion.
L’ouverture d’un lycée spécialisé à Brazzaville s’inscrit dans cette dynamique, complétant les récentes mesures facilitant l’accessibilité des services publics et la création de classes inclusives au primaire.
Pour Jean-Oscar Kankolongo, chargé de programme à Handicap-Congo, « ce pas supplémentaire traduit une volonté politique d’ouvrir l’école à tous ; il appartiendra désormais à la société civile de jouer le relais auprès des familles ».
Calendrier et étapes du chantier
Le terrain, contigu à l’actuel collège du quartier Mfilou, accueille déjà une dalle de béton coulée en août, financée par une collecte en ligne et des contributions de la municipalité, notamment du ciment et du sable.
Les travaux de maçonnerie devraient s’étendre jusqu’au premier trimestre 2024, avant l’installation de la charpente métallique et des panneaux solaires destinés à réduire la facture énergétique de l’établissement.
À partir de septembre 2024, l’accent sera mis sur l’équipement des ateliers et la formation des premiers enseignants, afin que tout soit prêt pour la rentrée officielle fixée à octobre 2025.
Témoignages des familles
Marie-Thérèse Mvoula, mère d’un collégien sourd, raconte qu’elle doit souvent réexpliquer les leçons à l’aide de dessins : « Si mon fils peut passer le bac ici, je suis certaine qu’il décrochera un emploi ».
Assis devant l’atelier de menuiserie, Patrice, 16 ans, signe que son rêve est de fabriquer des meubles pour les hôtels de Pointe-Noire ; avoir un lycée lui éviterait de quitter sa famille pour continuer ses études à l’étranger.
Les témoignages convergent : le principal obstacle reste la communication au quotidien, beaucoup de parents ne maîtrisant pas la langue des signes, d’où l’importance des cours ouverts à tous organisés chaque samedi sur le campus.