Une visite de haute portée symbolique
Les 23 et 24 septembre, onze dignitaires des chefferies tékés de la République démocratique du Congo ont parcouru plus de deux cents kilomètres pour rejoindre Mbé, siège du royaume, dans le département du Djoué-Léfini. Conduits par le chef de groupement Michaël Libo Mukoko, ils répondaient à une invitation coutumière encore inassouvie.
Depuis l’intronisation du dix-huitième Makoko, Sa Majesté Michel Ganari, les sages de la rive congolaise n’avaient pas présenté leurs civilités. Leur déplacement visait donc d’abord à saluer le souverain, mais aussi à rappeler le fil historique qui relie les Tékés au-delà des frontières coloniales.
Le royaume Téké, un territoire sans frontières
Ancré sur les plateaux du Djoué-Léfini, le royaume s’étend aujourd’hui vers le Gabon et la RDC. Les anthropologues soulignent qu’il repose davantage sur la circulation des clans que sur des limites géographiques figées, d’où la permanence du trône de Mbé comme repère spirituel.
« La cour de Mbé reste notre Nord magnétique », confie le chef traditionnel Martin Lita Fambomo, porte-parole du groupement Nguma. « Nous venons y chercher conseils et bénédictions auprès du premier trône. » Ces propos traduisent la profondeur des liens tissés de part et d’autre du fleuve.
Civilités et doléances devant le Makoko
Dans la grande case à palabres ornée de raphia, la délégation a présenté ses hommages, puis exposé ses préoccupations : gestion des terres familiales, protection des sites funéraires, transmission des rites aux jeunes.
Sa Majesté a rappelé le code moral hérité des ancêtres. « Un chef protège la terre, n’envie pas et ne tend pas la main », a-t-il souligné avant de lancer un appel à l’unité : « Restez un et indivisibles. »
Rituels à la stèle du traité Brazza-Makoko
La visite s’est poursuivie à la stèle où, le 10 septembre 1880, fut signé le traité Brazza-Makoko, acte fondateur de Brazzaville. Pour les Tékés, ce lieu marque l’entrée de leur histoire dans l’ère moderne.
Au son du groupe folklorique royal, les dignitaires ont exécuté des pas de danse identiques à ceux pratiqués à Kinshasa. Libations de vin de palme et formules en langue téké ont scellé la fraternité retrouvée.
« Entendre les mêmes chansons prouve que nous sommes un seul peuple », s’est réjoui Martin Lita Fambomo, ajoutant que chaque passage à la stèle permet de solliciter la sagesse des ancêtres face aux défis du quotidien.
Paix et stabilité, fils conducteurs du message royal
Avant leur départ, Sa Majesté a salué les efforts du président Denis Sassou Nguesso pour la consolidation de la paix, condition première du développement culturel et économique. Les visiteurs ont marqué leur adhésion à ce message.
Le roi a exhorté les chefs venus de RDC à relayer ces principes d’harmonie rurale : « C’est dans la solidarité que s’éduque la nouvelle génération », a-t-il chanté en langue vernaculaire, repris en chœur par l’assistance.
Une attestation d’honneur pour couronner la rencontre
Le comité du colloque international « Sur la route de l’histoire » a profité de la présence des hôtes pour remettre au Makoko l’Attestation d’honneur célébrant le 145ᵉ anniversaire du traité. Le document, signé par Bélinda Ayessa, salue l’engagement royal en faveur du patrimoine commun.
Très ému, le souverain a remercié « sa fille Bélinda » et félicité le mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza pour son rayonnement. Il a rappelé que la paix demeure indispensable à tous, des travailleurs aux chefferies traditionnelles.
Des retombées attendues des deux côtés du fleuve
Pour les représentants de RDC, la visite ouvre la voie à un meilleur partage des savoirs sur la pharmacopée, la gestion des terroirs et le tourisme communautaire. Un programme d’échanges entre jeunes artisans est envisagé pour 2024 sous l’égide des deux chefferies.
À Mbé, la cour royale voit aussi dans ce rapprochement l’occasion de hisser le festival Itende, vitrine des arts tékés. « Nos cousins de Kinshasa seront invités à présenter leurs masques », confie un conseiller, optimiste quant à la dynamique enclenchée.
Mbé, carrefour d’histoire et d’avenir
La route qui mène à Mbé serpente entre les collines herbeuses du Djoué-Léfini. Chaque convoi de visiteurs ajoute une page à l’histoire partagée du Congo et de la RDC, démontrant qu’un héritage vivant se nourrit de rencontres.
Les tambours se sont tus, mais la parole du Makoko résonne encore. Elle invite les dignitaires à revenir non seulement pour commémorer, mais pour bâtir des ponts culturels durables autour d’une paix célébrée à Mbé.