Une école primaire au bord du vide
Au bout de la rue sablonneuse de Sadelmi, l’école primaire publique d’Itsali semble suspendue entre ciel et terre. À moins de deux mètres des salles de classe, un ravin profond, formé par les pluies diluviennes de la dernière saison, grignote chaque jour le terrain.
Les murs extérieurs portent déjà des fissures. « On entend le sol craquer pendant les cours », confie Mme Bokali, institutrice depuis dix ans. Pourtant, 420 écoliers continuent d’occuper les bancs, car l’établissement constitue l’unique point d’accès au savoir pour tout le quartier.
Le directeur, M. Mabiala, multiplie les rondes. Il montre des poteaux récemment déplacés d’un mètre pour éviter la chute. « Nous avons perdu la moitié de la cour en trois saisons », résume-t-il, rappelant que la prochaine grande pluie est attendue dès novembre.
Habitants mobilisés face à l’érosion
Autour de l’établissement, les maisons construites en briques de terre battue avancent, elles aussi, vers le précipice. Certaines familles dorment désormais dans le salon, la chambre s’étant effondrée. Cette proximité entre l’école et l’habitat renforce la solidarité, mais alourdit également l’inquiétude collective.
Chaque matin, les parents se relaient pour combler les crevasses avec du gravier et des sacs de terre. « Nous voulons gagner du temps jusqu’à l’arrivée d’une solution technique », explique Jonas, président du comité de quartier, en brandissant un plan improvisé de drainage.
Outre l’érosion, des bancs de sable charriés par les pluies envahissent les couloirs, ensevelissant parfois des murs jusqu’à la moitié. Quatre habitations ont déjà disparu sous les dépôts sédimentaires, forçant leurs occupants à trouver refuge dans la famille ou auprès de voisins.
Un effort budgétaire sans précédent
Selon le service municipal d’hydraulique urbaine, la configuration en cuvette de Mfilou favorise la concentration des eaux et l’apparition de ravines. Les ingénieurs soulignent également la disparition des herbes stabilisatrices, cueillies pour la fabrication de balais, qui laissait autrefois les sols respirer et filtrer l’eau.
Conscients de l’urgence, les pouvoirs publics ont augmenté les crédits consacrés à la lutte contre les phénomènes d’érosion. La loi de finances 2024 consacre environ 2 500 milliards de francs CFA à ces opérations, contre 1 800 milliards l’an passé, une progression jugée significative par les techniciens.
« Ce budget permettra de finaliser les études de drainage pour Mfilou et de lancer des travaux dès le premier semestre », assure l’ingénieur Romaric Mouaya de la Direction générale des grands travaux. Il évoque des caniveaux bétonnés, des seuils anti-érosion et la reforestation ciblée des ravins.
Itsali n’est pas un cas isolé
Le scénario proposé reprend un dispositif déjà expérimenté à Kintélé, au nord de Brazzaville, où un talus végétalisé a stoppé la progression d’une coulée. Les autorités espèrent reproduire ce succès à Itsali, tout en intégrant la proximité de l’école et des habitations dans les plans de chantier.
Dans l’immédiat, une équipe topo-graphique a dressé un relevé laser du site. Les données, envoyées à un cabinet de géotechniciens, doivent préciser la profondeur exacte du sol meuble. La prochaine étape consistera à baliser une zone de sécurité autour de l’établissement pour prévenir tout risque durant les classes.
Pour les parents, l’enjeu va au-delà de la protection des murs. « Une école qui ferme, c’est un quartier qui s’éteint », résume Mireille, vendeuse de légumes au marché voisin. La jeune mère redoute de devoir parcourir six kilomètres supplémentaires si les autorités ordonnaient un déplacement des élèves.
Le bureau de l’arrondissement rappelle que des solutions temporaires existent, notamment l’accueil de certaines classes en rotation dans la paroisse Sainte-Claire. Cette option, déjà expérimentée durant les pluies de 2022, avait permis de conserver les examens de fin d’année dans le calendrier officiel sans perturbations majeures.
Des solutions durables en discussion
Parallèlement, des bénévoles de l’ONG Terre Verte initient les élèves à la plantation de vétiver, plante réputée pour ses racines profondes. « C’est un geste pédagogique et écologique », souligne le coordinateur Alphonse Bissa ; une centaine de pousses ont déjà été installées en bordure du ravin.
Les enseignants profitent de l’initiative pour aborder la notion d’environnement durable au programme du CM2. De petits carnets de suivi ont été distribués : chaque élève note la hauteur des tiges semaine après semaine. L’idée est de créer un attachement aux lieux et d’encourager la vigilance.
Brazzaville compte plus de 200 sites classés sensibles par la Direction départementale de l’environnement, dont Djiri et Madibou. L’érosion y progresse généralement de deux à quatre mètres par an. La capitale a donc engagé un programme de cartographie participative visant à prioriser les interventions quartier par quartier.
Les experts insistent sur la nécessité d’impliquer davantage les collectivités, les bailleurs et les habitants. « La durabilité passe par la co-gestion », explique la géologue Émilie Endzonga, citant des expériences réussies à Pointe-Noire. À Itsali, cette collaboration se matérialise déjà par les patrouilles citoyennes organisées chaque week-end.
En attendant les premiers engins, l’école d’Itsali poursuit ses cours, symbole d’une résilience partagée. Le chantier de sauvetage, prévu pour débuter au premier semestre, offrira également un modèle d’aménagement adapté aux spécificités du sol urbain congolais, mêlant savoir-faire local et expertise institutionnelle.