Bébés noirs : une inquiétude urbaine persistante
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, l’expression «bébés noirs» continue de faire frémir. Ces bandes d’adolescents et de jeunes adultes, parfois appelées kulunas, opèrent armées de couteaux ou machettes, semant la peur dans les rues commerçantes et les quartiers populaires.
Le phénomène, largement médiatisé depuis la décennie 2010, touche surtout des garçons âgés de treize à vingt-cinq ans. Déscolarisés, sans emploi stable et souvent livrés à eux-mêmes, ils se regroupent en petits clans portant des noms évocateurs, «Américains», «Arabes» ou «Commando».
Le procureur de la République, André Oko Ngakala, qualifie leurs attaques de «terrorisme de proximité», rappelant que certaines agressions ont viré au meurtre. Les habitants, eux, décrivent des rafles éclair, où un simple téléphone volé se paie parfois d’une blessure profonde.
Des causes sociales identifiées
Sociologues et travailleurs sociaux pointent d’abord la pauvreté urbaine. Dans plusieurs arrondissements, une famille vit sur moins de deux repas par jour, tandis que l’accès à l’eau potable ou à l’électricité demeure irrégulier. Les jeunes y perçoivent l’avenir comme un horizon fermé.
Le décrochage scolaire commence parfois dès le primaire. Manque de fournitures, éloignement des écoles et conditions familiales instables expliquent ces abandons précoces. Sans diplôme, les adolescents se voient exclus du marché du travail, déjà restreint, et cherchent reconnaissance et revenus à travers les gangs.
Répression ciblée et résultats mesurés
Face à l’urgence, les forces de l’ordre ont lancé en mai 2024 l’opération mixte Coup de poing. Patrouilles renforcées, contrôles d’identité et descentes à l’aube ont permis d’arrêter plusieurs centaines de suspects et de saisir armes blanches ainsi que stupéfiants.
Le ministère de l’Intérieur se félicite d’une baisse visible des agressions nocturnes dans certains quartiers comme Madibou ou Tié-Tié. De nombreux riverains confirment un retour à une vie plus paisible, même si la vigilance reste de mise, notamment autour des marchés informels.
Des organisations de défense des droits humains rappellent toutefois que la répression, si nécessaire, doit rester encadrée. Elles soulignent l’importance du respect des procédures et de l’accès à un avocat pour éviter tout amalgame entre délinquance avérée et simple errance juvénile.
Centres de rééducation : l’espoir d’Aubeville
Le gouvernement a choisi d’ajouter une approche sociale à la réponse sécuritaire. Le Centre d’insertion et de réinsertion sociale d’Aubeville, dans la Bouenza, doit accueillir ses premiers pensionnaires l’an prochain, avec des ateliers de maçonnerie, d’horticulture et d’informatique.
Selon le directeur pressenti, le dispositif reposera sur un suivi psychologique et une formation qualifiante débouchant sur un stage en entreprise locale. «Nous voulons transformer ces jeunes en acteurs du développement plutôt qu’en ennemis de la société», explique-t-il devant les maires de district.
Prévenir par l’école et l’emploi
Pour assécher le vivier des bandes, l’Agence nationale de l’insertion et de la réinsertion sociale des jeunes, créée en 2024, mise sur des chantiers communautaires rémunérés. Les participants y acquièrent une première expérience professionnelle tout en améliorant la voirie ou les réseaux d’assainissement.
Des «écoles de la deuxième chance» doivent également ouvrir dans les arrondissements Dombe et Ouenzé. Elles proposeront des cours modulaires, de l’alphabétisation aux bases du numérique, afin de redonner confiance à des adolescents qui, souvent, n’osaient plus franchir le portail d’un établissement classique.
Le secteur privé est sollicité pour offrir des contrats d’apprentissage. Plusieurs entreprises de la zone industrielle de Maloukou ont déjà signé des protocoles d’accueil. À terme, chaque apprenti sorti d’Aubeville ou d’une école de requalification devrait bénéficier d’un tuteur au sein d’une PME.
Mobilisation communautaire et repères culturels
Les chefs de quartier, les comités d’associations de mères et les paroisses jouent un rôle décisif. Beaucoup organisent des veillées citoyennes, servent d’interface entre la police et la population et accueillent les repentis en quête d’un nouveau départ.
Le sport s’affirme également comme un outil de cohésion. Tournois de football de rue, cours de danse urbaine ou compétitions de lutte traditionnelle permettent de canaliser l’énergie des jeunes. «Sur un terrain, ils deviennent coéquipiers plutôt qu’adversaires», observe l’entraîneur bénévole Serge Mavoungou.
Vers une stratégie durable et inclusive
Plusieurs observateurs estiment qu’il n’existe pas de solution miracle mais un faisceau d’actions complémentaires. Sécurité, justice, éducation, emploi et santé mentale doivent avancer de concert pour empêcher qu’une génération entière ne bascule définitivement dans la violence.
Un recensement exhaustif des jeunes en difficulté est attendu dès 2025. Il permettra de mesurer l’efficacité des programmes et d’ajuster, quartier par quartier, la combinaison entre encadrement, soutien psychosocial et opportunités économiques.
Les analystes soulignent enfin l’importance d’une communication transparente. En publiant régulièrement les chiffres des arrestations, des réinsertions réussies et des créations d’emploi, les autorités entretiennent la confiance du public et encouragent l’implication continue des familles.
Si la lutte contre les bébés noirs reste un défi majeur, la dynamique actuelle démontre qu’une approche équilibrée peut porter ses fruits. À condition de maintenir l’élan, les rues de Brazzaville et Pointe-Noire pourraient retrouver durablement ce sentiment de sécurité que chacun réclame.