Une soirée pas comme les autres
À 19 heures tapantes, dimanche 21 septembre 2025, les premiers accords ont résonné sous les voûtes du Palais des congrès de Brazzaville. Dans la pénombre, les archets de l’Orchestre symphonique des enfants de Brazzaville, l’Oseb, ont lancé une invitation à la fête.
Le pari, audacieux, consistait à transposer la rumba congolaise dans l’écrin exigeant d’un orchestre classique. S’il n’a pas rempli la salle à son maximum, le public présent a vite compris qu’il assistait à un moment rare, presque intimiste.
L’alchimie rumba et symphonie
Sous la baguette précise du maestro Josias Ngahata, la section cordes embrassait les progressions harmoniques de la rumba tandis que cuivres et percussions rappelaient les clubs de Matonge. L’ensemble dessinait un pont sonore entre tradition populaire et discipline académique.
Parmi les morceaux revisités figuraient Indépendance Cha Cha, Mario ou encore Pont sur le Congo. Les arrangements, écrits pour soixante enfants et jeunes âgés de cinq à vingt-deux ans, jouaient sur les contrechants de violons et des lignes de basse pizzicato.
Le chœur mixte, composé pour moitié de collégiens, a apporté une chaleur supplémentaire. Lorsque les sopranos ont entonné les refrains de Papa Wemba, certains spectateurs, émus, ont fredonné, créant une vague d’échos qui a enveloppé la salle.
Entre deux chansons, le maestro prenait le micro pour expliquer la construction des pièces. Ces apartés pédagogiques, très appréciés, faisaient découvrir aux novices la différence entre un motif de guitare rumba et son équivalent transcrit pour hautbois ou flûte.
Un triple anniversaire chargé d’émotion
Avant le deuxième mouvement, l’ambassadeur d’Allemagne, le Dr Wolfgang Klapper, est monté sur scène. Il a rappelé les cinquante ans de jumelage entre Brazzaville et Dresde, les soixante-cinq ans de relations diplomatiques bilatérales et, surtout, le septième anniversaire de l’Oseb.
« Ce soir, nous fêtons trois histoires qui se rejoignent dans la musique », a déclaré le diplomate, saluant « l’énergie créative de la jeunesse congolaise ». Il a profité de l’instant pour adresser ses adieux après près de cinq ans de mission.
Le public a entonné Joyeux Anniversaire avant qu’un gâteau, décoré des drapeaux congolais et allemand, ne soit porté sur scène. Plusieurs enfants ont soufflé les bougies, symbolisant un orchestre qui, malgré son jeune âge, revendique déjà une maturité artistique.
La jeunesse congolaise en harmonie
Voir un enfant de six ans attaquer un solo de violoncelle aux côtés d’une lycéenne à la trompette reste un spectacle rare. Depuis 2018, l’Oseb forme ces musiciens grâce à des ateliers gratuits encadrés par des professionnels congolais et étrangers.
Josias Ngahata rappelle souvent que l’orchestre est d’abord « un outil d’éducation citoyenne ». Les répétitions apprennent la discipline, l’écoute et le sens du collectif. Plusieurs anciens ont déjà rejoint des conservatoires à Kinshasa, Paris ou Berlin avec des bourses obtenues sur audition.
Dans les coulisses, les parents racontent la fierté de voir leurs enfants évoluer. « Ils ne traînent plus dans la rue après l’école, ils répètent », confie Mireille, mère d’un jeune altiste. Elle observe des changements dans les résultats scolaires et dans la confiance.
L’encadrement pédagogique s’appuie sur un partenariat avec l’Institut français du Congo et l’École normale de musique de Paris. Des professeurs effectuent des missions courtes pour renforcer la technique d’archer ou l’intonation, tandis que des masterclasses en visioconférence complètent la formation.
Soutenir un projet d’avenir
Après le dernier accord, les organisateurs ont lancé une levée de fonds discrète mais déterminée. Les dons serviront à acquérir de nouveaux instruments, à financer des stages et à payer le transport des enfants, parfois contraints de traverser plusieurs quartiers pour répéter.
Au terme de la soirée, le chef d’orchestre a reçu un petit cadeau, confectionné par les musiciens eux-mêmes. « Ils ont appris l’improvisation, mais aussi la gratitude », a-t-il souri, saluant la présence des spectateurs et de plusieurs responsables culturels nationaux.
Plusieurs entreprises locales, dont des transporteurs et une société de téléphonie, ont déjà promis un accompagnement. Les responsables soulignent que chaque franc investi sert aussi la cohésion sociale. « Soutenir l’Oseb, c’est investir dans la paix », rappelle un mécène présent.
Et après, la tournée?
Déjà, la rumeur d’une reprise circule. Un projet de représentation en plein air sur la corniche de Brazzaville se prépare pour le début de la saison sèche. Le ministère de la Culture a été saisi pour un appui logistique et technique.
« La rumba symphonique doit vivre ailleurs qu’entre quatre murs », insiste Josias Ngahata. Le maestro espère également tourner à Pointe-Noire, Oyo et Kinkala. D’ici là, l’Oseb retourne à ses pupitres, fort d’une soirée qui a déjà marqué les esprits.
La reconnaissance internationale est également en ligne de mire. Après l’inscription de la rumba congolaise au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2021, les responsables de l’orchestre envisagent de déposer le concept de rumba symphonique auprès du ministère afin de le promouvoir à l’étranger.