Un coup de théâtre judiciaire
La salle climatisée d’un hôtel du centre-ville de Brazzaville affichait complet vendredi matin. Délégués des ligues, représentants de clubs et médias attendaient le début de l’Assemblée générale ordinaire de la Fédération congolaise de football, moment clé du calendrier sportif national.
À la surprise générale, un huissier a remis une ordonnance signée par la doyenne des juges d’instruction du Tribunal de grande instance. Le document suspendait la réunion statutaire, invoquant un recours encore sous instruction. Quelques minutes plus tard, les portes se refermaient.
La réaction immédiate de la Fécofoot
Micro en main, le deuxième vice-président Carle Boniface Malalou a fait lecture d’un court communiqué. « La Fédération n’a pas été notifiée officiellement en amont. Nous nous conformons toutefois à la décision afin de préserver la sérénité », a-t-il déclaré devant un auditoire étonné.
Malalou a invité les délégués à la patience, annonçant l’engagement de démarches juridiques pour clarifier la situation. « Nous espérons fixer une nouvelle date dans la semaine », a-t-il précisé, rappelant que les statuts de la Fécofoot imposent la tenue d’une assemblée chaque année civile.
Le regard attentif de la Fifa
La Fédération internationale de football association avait dépêché à Brazzaville son représentant Franciny Samba. Discret, celui-ci s’est abstenu de tout commentaire public, préférant rédiger un rapport qu’il transmettra au siège de Zurich, comme le veut la procédure interne.
Les statuts de la Fifa insistent sur « l’indépendance et l’autonomie » des associations membres. Toute ingérence extérieure, étatique ou non, peut déclencher des sanctions allant d’une mise sous supervision à une suspension temporaire des fonds de développement.
Un ancien membre de la commission juridique de la Confédération africaine de football rappelle que la Fifa ouvre d’abord un dialogue avant toute mesure. « Le but n’est pas de punir mais de protéger la gouvernance sportive », insiste-t-il.
Clubs et ligues dans l’incertitude
Le report intervient alors que les clubs de Ligue 1 et Ligue 2 avaient déjà repris l’entraînement. Les budgets de préparation, souvent serrés, ont été élaborés en fonction du calendrier initial. « Décaler deux semaines, c’est perdre un mois de charges », soupire un dirigeant du FC Kondzo.
Pour les présidents de ligue, l’assemblée devait adopter le budget, valider le calendrier et entériner le règlement des compétitions. Sans vote, impossible de lancer officiellement la saison ni de signer les conventions de sponsoring attendues.
Landry Louvenzo, responsable de la Ligue de Brazzaville, souligne l’impact sur la jeunesse. « Les joueurs U17 et U20 attendaient la reprise pour se montrer. Chaque jour perdu réduit leurs chances de progression », explique-t-il, plaidant pour une solution rapide.
Les clubs féminins ne sont pas épargnés. Plusieurs équipes engagées en inter-ligues s’inquiètent de la tenue des éliminatoires zonales. « Nos joueuses méritent de jouer, pas d’attendre devant des tribunaux », rappelle la coach de la formation d’Owando.
Quels motifs derrière la suspension ?
Le contenu exact du recours reste confidentiel. Selon des sources proches du dossier, il concernerait la régularité de la convocation et l’éligibilité de certains délégués. Aucun nom n’a filtré, les parties concernées préférant réserver leurs arguments au juge instructeur.
Un professeur de droit public de l’Université Marien-Ngouabi note que la justice agit dans son rôle de garant du respect des statuts. « La décision n’est pas un jugement sur le fond mais une mesure conservatoire visant à éviter une assemblée entachée de nullité », explique-t-il.
Les prochaines étapes procédurales
La Fécofoot a mandaté son service juridique pour introduire une requête d’urgence. Objectif : obtenir la mainlevée rapide de la suspension afin de ne pas retarder davantage la saison sportive. Une audience pourrait être fixée dans les prochains jours.
Si le juge maintient la suspension, la Fédération envisage une re-convocation dans le strict respect des observations de la justice. Cette voie concilierait impératifs statutaires et décisions judiciaires, tout en rassurant la Fifa sur l’absence de tension institutionnelle.
Plusieurs avocats spécialisés en droit du sport soulignent qu’un accord amiable demeure possible. « Une réunion en présence du ministère des Sports, de la Fécofoot et des parties requérantes pourrait débloquer le dossier sans passer par une longue procédure », avance l’un d’eux.
Enjeux pour l’avenir du football national
Le football congolais vit un tournant. Depuis trois ans, la Fifa finance des programmes d’infrastructures, dont la réhabilitation de stades à Dolisie et Owando. Pour en bénéficier, la Fédération doit présenter un plan d’action validé en Assemblée générale.
Retarder l’approbation du budget pourrait repousser les décaissements, affectant la modernisation des installations et la formation des jeunes entraîneurs. « Nous voulons un centre technique digne de ce nom », rappelle Albert Bingui, responsable de la commission développement.
Malgré le contretemps, plusieurs observateurs saluent la volonté conjointe des autorités judiciaires et sportives de garantir la transparence. « Une décision claire, appliquée loyalement, renforce la crédibilité de nos institutions », estime un journaliste sportif bruxellois de passage à Brazzaville.