Un défi sanitaire encore trop présent
Au centre hospitalier Talangaï, une alerte retentit : chaque jour, une femme ou un nouveau-né risque sa vie en donnant naissance. Réunis début octobre, responsables de la santé et sages-femmes ont décidé d’agir ensemble pour rompre ce cycle tragique.
La mortalité maternelle reste l’un des enjeux majeurs pour la République du Congo, malgré les progrès enregistrés ces dernières années. Le ministère de la Santé fixe désormais un objectif clair : diviser par deux les décès liés à l’accouchement d’ici 2030, en conformité avec l’Agenda 2030 des Nations unies.
Des chiffres qui alertent
Selon les données présentées par le Dr Wilfrid Gautier Okanda, directeur départemental de la population de Brazzaville, 27 % des décès féminins surviennent encore en milieu obstétrical. Un cinquième concerne des adolescentes, souvent victimes de grossesses précoces entraînant complications, hémorragies ou éclampsies fatales.
Ces indicateurs s’accompagnent d’une autre réalité douloureuse : près de 300 cas de violences sexuelles ont été signalés cette année dans les maternités de la capitale, dont 96 impliquant des hommes, signe que le parcours de soins se double parfois d’un danger pour l’intégrité physique et psychologique.
La coordination au cœur de la stratégie
Pour inverser la tendance, les majors sages-femmes des 17 formations sanitaires pilotes et les chefs de centres se sont engagés dans une approche de réseau. « Travailler en silos n’a plus de sens, explique le Dr Okanda. Nous devons parler d’une seule voix et réagir en temps réel ».
La rencontre, présidée le 3 octobre, s’est tenue sous l’égide du secrétariat général de la préfecture, représenté par Thevy Duvel Mongouo Wando. Ce dernier a salué « l’engagement héroïque » des équipes et a promis de relayer leurs recommandations auprès des autorités départementales pour des mesures rapides.
Téléphones de liaison : un outil simple, un impact fort
Première décision concrète : la remise de téléphones de liaison aux sages-femmes. Grâce à ces appareils basiques, chaque structure peut alerter instantanément la maternité de référence, organiser un transfert ou réclamer un avis spécialisé, évitant ainsi la perte de minutes précieuses dans les cas d’urgence obstétricale.
L’idée paraît simple, pourtant le manque de communication était régulièrement cité comme cause de délais fatals. « Avoir le numéro direct du bloc technique change tout », note Judith Epana, sage-femme au Centre de santé intégré Maman Mboualé, qui déplore encore des réorientations tardives vers les hôpitaux de référence.
Le rôle clé du projet Groupe des femmes unies
Le Fonds des Nations unies pour la population appuie financièrement le projet Groupe des femmes unies, bras opérationnel de cette nouvelle coordination. La phase pilote vise les huit arrondissements de Brazzaville, avec un accent particulier sur les quartiers périphériques où l’accès aux soins d’urgence reste plus difficile.
Concrètement, le Gfu développe un tableau de bord partagé, regroupant naissances, complications, disponibilités de sang, ambulances et personnels de garde. Chaque soir, un point de situation circule via messagerie chiffrée. « Ces données orientent nos décisions et objectivent nos besoins en matériel », explique une coordinatrice sous anonymat.
La collecte d’informations permet aussi de prévenir les violences basées sur le genre. Les cas signalés sont orientés vers des cellules d’écoute et de prise en charge médico-psychologique, tandis que des actions de sensibilisation sont programmées dans les lycées pour retarder l’âge des premières grossesses.
Vers un meilleur accueil des patientes
Au-delà des chiffres, les participantes ont insisté sur l’importance du respect et de l’écoute. Des mots blessants ou des reproches formulés pendant le travail peuvent aggraver la douleur et la détresse. « La violence obstétricale ne se limite pas aux gestes, elle commence dans le langage », rappelle une sage-femme.
Désormais, chaque maternité de Brazzaville tiendra un registre des incidents verbaux ou physiques. Les remontées serviront à ajuster les formations continues et à identifier les bonnes pratiques d’accueil. L’objectif est double : restaurer la confiance des patientes et éviter les retards de consultation, souvent fatals en cas d’hémorragie.
Sur le terrain, des rénovations légères sont déjà programmées : éclairage d’appoint, rideaux séparateurs et bancs d’attente convenables. « Quand une adolescente arrive de nuit, elle doit se sentir en sécurité », souligne Octave Elenga, responsable du centre Maman Mboualé, convaincu que l’environnement physique influence aussi les résultats obstétricaux.
Des perspectives encourageantes
Les participants veulent capitaliser sur la dynamique pour préparer la Semaine internationale de la sage-femme, prévue en mai prochain. Des ateliers de simulation d’urgence, des consultations gratuites et une campagne digitale #SauverMaman sont déjà dans les cartons, afin de promouvoir le recours précoce au suivi prénatal.
Dans un contexte budgétaire exigeant, l’approche fondée sur la collaboration et la technologie légère offre un rapport coût-efficacité intéressant. Les sages-femmes espèrent ainsi démontrer que des solutions locales, soutenues par des partenaires engagés, peuvent sauver des vies sans attendre de lourds investissements.
Les autorités sanitaires départementales tablent sur un premier bilan à six mois. Si la mortalité maternelle baisse d’au moins 10 %, le modèle pourrait être étendu aux départements voisins, à l’image de Pointe-Noire ou de la Cuvette, où le maillage médical demande aussi à être densifié.
En attendant ces résultats, chaque acteur repart avec la même conviction : aucune femme ne devrait perdre la vie en donnant la vie. À Brazzaville, la lutte collective est désormais lancée, et le simple tintement d’un téléphone pourrait bien devenir synonyme d’espoir pour les futures mères.