La santé mentale, priorité de résilience
Le 10 octobre, à l’occasion de la Journée de la santé mentale, le Dr Mohamed Janabi, directeur régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique, a rappelé depuis Brazzaville que la santé mentale constitue « un pilier de la résilience et de la dignité ».
Son message, diffusé par l’institution, insistait sur l’accès continu aux services psychologiques avant, pendant et après chaque crise sanitaire, climatique ou sécuritaire, afin d’éviter que la détresse ne vire en trouble sévère ou handicap durable.
Selon le responsable, une personne sur cinq vivant une situation de catastrophe développe des symptômes nécessitant des soins spécialisés, alors que la majorité n’aura accès qu’à des mécanismes de soutien informels. Ce décalage alimente stigmatisation, isolement et perte de productivité dans les familles.
Des urgences inédites sur le continent
La Région africaine concentre plus d’une centaine d’événements de santé publique significatifs par an, rappelle l’Oms : Ebola, choléra, inondations récurrentes, déplacement de populations et conflits armés soumettent les systèmes de soins à une pression constante et multiforme.
Dans ces contextes, les patients doivent déjà lutter contre des maladies physiques, l’insécurité alimentaire ou la perte de revenus. La charge psychique cumulée aboutit souvent, selon les psychiatres, à un cercle vicieux où la santé mentale détériorée freine la reconstruction individuelle et collective.
Le Pr Bénédicte Massamba, chef du service de psychiatrie au CHU de Brazzaville, observe « une recrudescence des troubles anxiodépressifs post-inondation », citant notamment les quartiers riverains du fleuve. « Beaucoup de mères culpabilisent d’avoir tout perdu ; sans prise en charge rapide, la souffrance s’aggrave », alerte-t-elle.
Une résolution historique à transformer
En mai 2024, l’Assemblée mondiale de la Santé a adopté une résolution demandant à chaque pays d’intégrer le soutien psychosocial dans la préparation, l’intervention et le relèvement post-crise. Pour l’Oms, ce texte représente un tournant stratégique comparable à l’intégration du VIH dans les soins primaires.
Onze États africains ont déjà décliné cette recommandation dans leurs plans nationaux de gestion des risques, souvent avec l’appui technique de l’agence onusienne. Au Gabon, par exemple, chaque simulation d’épidémie inclut désormais des psychologues militaires et des relais communautaires formés aux premiers secours émotionnels.
Au Congo-Brazzaville, le ministère de la Santé s’appuie sur la Direction de la santé mentale pour ajuster sa feuille de route. « Nous voulons des cellules de soutien dans chaque zone sanitaire, y compris les plus enclavées », explique un cadre du programme national.
Des budgets encore trop timides
Les avancées politiques se heurtent toutefois à une réalité budgétaire. Selon l’Oms, seuls dix pays d’Afrique affectent une ligne spécifique à la santé mentale dans les urgences, pour une dépense régionale moyenne qui n’excède pas cinquante centimes de dollar par habitant et par an.
« Nous plaidons pour qu’au minimum 2 % du budget santé national soit dédié à la prévention et au traitement des troubles psychiques, avec un accent sur les contextes de crise », insiste le Dr Janabi, estimant que chaque dollar investi « économise quatre dollars de productivité future ».
Au-delà des fonds, la question des ressources humaines demeure centrale. Le ratio continental ne dépasse pas 1,4 psychiatre pour 100 000 habitants ; dans plusieurs pays, les rares spécialistes sont concentrés dans la capitale, loin des zones les plus exposées aux événements extrêmes.
Renforcer l’appui communautaire
Pour combler les écarts, l’Oms promeut la formation accélérée d’infirmiers, d’assistants sociaux et de leaders religieux aux premiers secours psychologiques. Cette stratégie de proximité repose sur les réseaux traditionnels de solidarité qui, en Afrique centrale, constituent souvent la première ligne de réponse face au traumatisme.
À Mindouli, dans le département du Pool, une association de jeunes déplacés a mis en place un « club de parole » après les violences de 2022. Les séances hebdomadaires, supervisées par un agent de santé, ont permis de réduire les conduites à risque, selon un rapport consulté au ministère.
L’approche communautaire implique aussi de protéger les droits des personnes vivant avec un trouble sévère. L’adoption progressive de lois anti-discrimination dans plusieurs États d’Afrique centrale, dont la République du Congo, offre un cadre juridique pour lutter contre les abus et favoriser l’inclusion socio-professionnelle.
Perspectives d’ici 2030
L’objectif affiché par l’Oms est ambitieux : porter à 80 % la proportion de pays africains dotés de systèmes robustes de soutien psychosocial dans six ans. Cet horizon s’inscrit dans l’Agenda 2030 et dans la stratégie continentale pour la Couverture sanitaire universelle.
Pour y parvenir, l’agence s’appuiera sur le Cadre régional pour l’avenir de la santé mentale, adopté l’an dernier à Lomé. Le document encourage l’intégration du dépistage systématique dans les centres de santé, la télémédecine et la collecte de données désagrégées sur les populations vulnérables.
Au-delà des politiques, la parole se libère progressivement. Témoignant lors d’un webinaire régional, la Congolaise Eliane Mabika confie : « J’ai survécu aux inondations de 2021 mais c’est grâce au groupe de soutien que j’ai retrouvé confiance ». Son expérience illustre l’espoir qu’entend cultiver la campagne de l’Oms.