Une vocation née au cœur de Brazzaville
Dans les couloirs du Tribunal de grande instance de Brazzaville, Murphy Fred Viclaire Miékountima Sémo affiche un calme teinté de curiosité technologique. Né il y a trente-deux ans dans la capitale, il grandit aux côtés d’outils informatiques qui l’intriguent très tôt et façonnent son engagement futur.
« Le numérique est un levier de souveraineté pour nos institutions », confie-t-il en souriant. Chez ce magistrat du siège, la robe noire se marie désormais aux lignes de code. Sa conviction : la modernisation judiciaire passe par la maîtrise de la cybersécurité et de la criminalité en ligne.
Des bancs du lycée aux amphithéâtres de l’Université Marien-Ngouabi
Après un BEPC décroché en 2008 au Collège Saint-Pierre Claver puis un baccalauréat littéraire obtenu en 2011 au Lycée Chaminade, l’étudiant choisit le droit public. Sur les bancs de la Faculté, il explore les rapports entre institutions nationales et transformations numériques, un domaine encore peu exploré.
Sa licence obtenue en 2014 trace la voie d’une maîtrise, conclue en 2016, consacrée aux études internationales et communautaires. L’idée de réguler l’espace virtuel congolais s’impose alors : « Internet multiplie les frontières invisibles, la loi doit les rendre lisibles », écrit-il dans son premier mémoire.
L’ENAM et la spécialisation en cyberdroit
Intégrer, en 2019, la prestigieuse École nationale d’administration et de magistrature représente un tournant. Pendant deux ans, Murphy Sémo mêle procédures, cryptographie et droit pénal spécial. Il décroche un master professionnel en cyberdroit, mention très bien, avant d’être nommé magistrat du siège fin 2020.
Parallèlement, il enquête sur les contentieux liés à l’usurpation d’identité numérique, décrivant des victimes de plus en plus nombreuses. Pour lui, l’enjeu est clair : « Une justice du XXIᵉ siècle doit juger avec les outils de son temps sans perdre son humanité. »
Un formateur engagé aux côtés des forces de l’ordre
Depuis 2022, le jeune juge anime à l’École nationale supérieure de police un module sur la répression de la cybercriminalité et la criminalité organisée dans le cyberespace. Inspecteurs et officiers apprennent à collecter et à sécuriser la preuve numérique avant son arrivée au prétoire.
Cette collaboration police-justice renforce la chaîne pénale. Le directeur de l’École, satisfait, salue « un expert capable d’expliquer un ransomware comme une infraction classique ». Murphy Sémo estime, lui, que la formation continue est « l’assurance vie » d’une justice réactive et légitime.
Ambassadeur congolais des forums numériques
Paneliste régulier lors de colloques à Dakar, Yaoundé et Paris, il éclaire juristes et ingénieurs sur les défis africains en matière de souveraineté numérique. Dans ces rendez-vous, il plaide pour « un cloud national de confiance » et l’adoption d’algorithmes audités par des experts locaux.
Les organisateurs apprécient son approche pragmatique : chaque recommandation s’appuie sur un cas pratique extrait des audiences brazzavilloises. Les retours d’expérience enrichissent aussi la jurisprudence congolaise, encore embryonnaire sur l’escroquerie par crypto-actifs ou l’atteinte aux données personnelles de santé.
Un ouvrage devenu référence dans les tribunaux
Son mémoire de fin de cycle, remanié, paraît chez L’Harmattan sous le titre « Le juge et la cybercriminalité au Congo ». L’ouvrage analyse l’articulation entre nouvelles infractions et droit existant, puis propose un guide procédural où l’expertise informatique accompagne la décision judiciaire.
Dans plusieurs juridictions de province, le livre circule de main en main. Un substitut du procureur à Pointe-Noire y voit « une boussole pratique pour qualifier les faits », alors qu’un avocat salue « un pont entre la technique et la règle », preuve de la portée nationale du travail.
Réseau national des magistrats en intelligence artificielle
Murphy Sémo assure le secrétariat général de ce collectif créé en 2023. Sa mission première : repérer et partager les solutions numériques qui accélèrent la rédaction des jugements tout en préservant la confidentialité. Les membres testent des plateformes de gestion des dossiers et des outils d’analyse de jurisprudence.
« Nous refusons l’automatisation aveugle », insiste-t-il, rappelant que la décision reste humaine. Toutefois, l’intelligence artificielle peut suggérer des précédents ou détecter des incohérences, offrant au juge plus de temps pour motiver et expliquer.
Un passage au Canada pour élargir l’horizon
Entre 2024 et 2025, une immersion à la University of Reading lui permet d’étudier l’encadrement anglo-saxon des preuves électroniques. Il y compare les standards d’admissibilité britanniques et congolais, identifiant des pistes d’harmonisation pour renforcer la confiance des investisseurs dans le marché numérique national.
À son retour, il envisage de proposer un protocole commun d’authentification des captures d’écran, pratique clé dans les litiges commerciaux en ligne. La démarche illustre son souci d’adapter le droit sans rompre avec les principes fondamentaux du système juridique congolais.
La technologie, moteur d’une justice plus proche du citoyen
Au-delà des salles d’audience, le magistrat rêve de guichets virtuels simplifiant les démarches judiciaires. Par vidéoconférence, un justiciable de Ouesso pourrait suivre son dossier sans parcourir des kilomètres. Cette dématérialisation réduirait les coûts et rapprocherait l’institution du quotidien des familles.
Dans son bureau, un QR Code renvoie déjà vers un guide d’informations pratiques. « La transparence commence par l’accessibilité », dit-il. Pour Murphy Sémo, la technologie ne doit pas seulement protéger contre le crime : elle doit aussi faciliter l’exercice des droits.
Un discours aligné sur les orientations nationales
Les autorités congolaises ont placé le numérique au rang des priorités stratégiques. La modernisation de la justice, inscrite dans plusieurs feuilles de route gouvernementales, bénéficie de soutiens budgétaires destinés à la formation et à l’équipement des juridictions.
Les experts voient dans le parcours de Murphy Sémo l’illustration concrète de ces ambitions. Son approche pédagogique, couplée à une recherche appliquée, contribue à faire émerger un écosystème où juristes, informaticiens et forces de sécurité œuvrent de concert pour la stabilité numérique.
Entre éthique et innovation, un équilibre à trouver
L’utilisation de l’intelligence artificielle suscite néanmoins des interrogations. Comment garantir l’absence de biais ? Faut-il rendre publics les codes sources utilisés ? Pour le magistrat, la réponse passe par une gouvernance inclusive associant représentants de la société civile, chercheurs et autorités judiciaires.
« La légitimité de l’algorithme dépend de la confiance qu’il inspire », rappelle-t-il. Cet appel au dialogue constant réaffirme que la modernisation n’est durable que si elle s’enracine dans des valeurs partagées de justice et de dignité.
Un modèle pour la jeune génération juridique
Dans les amphithéâtres où il intervient, nombreux sont les étudiants qui l’abordent. Ils voient en lui la preuve que le magistrat moderne peut être à la fois juriste, pédagogue et technophile. Il leur conseille de « cultiver une curiosité permanente et de ne jamais craindre la complexité ».
Son propre parcours, construit entre Brazzaville et l’étranger, montre qu’il est possible de conjuguer attachement national et ouverture internationale. Une combinaison que plusieurs recruteurs institutionnels commencent à rechercher pour renforcer leurs équipes spécialisées.
Une trajectoire qui inspire la confiance
À mesure que la cybercriminalité évolue, les tribunaux congolais ont besoin de profils pointus. L’exemple de Murphy Sémo, salué par ses pairs, apporte un vent d’optimisme. Il rappelle que la technologie, lorsqu’elle est maîtrisée, peut consolider l’équité et accélérer le règlement des conflits.
« Notre mission reste de rendre une justice humaine, mais augmentée », résume-t-il. Cette devise, simple et ambitieuse, dessine l’avenir d’une institution décidée à s’adapter sans renoncer à son essence.
Vers une justice 4.0 ancrée dans la société
En observant le jeune magistrat, on mesure le chemin parcouru par le Congo dans la numérisation de ses services publics. Le cap est fixé : développer des outils sécurisés, former les acteurs et sensibiliser le public. Autant de défis que Murphy Sémo entend continuer à relever, robe sur les épaules.
Son engagement prouve que la transformation digitale n’est pas une question d’effets d’annonce, mais l’œuvre patiente de femmes et d’hommes convaincus. C’est peut-être dans cette détermination, tranquille mais contagieuse, que réside la meilleure garantie d’une justice plus rapide, plus juste et plus transparente.