Ebola aux portes du Congo
Depuis la résurgence d’Ebola dans le Kasaï voisin, l’autre rive du fleuve vit au rythme d’une prudence renouvelée. À Brazzaville, l’effervescence des barges qui croisent chaque jour rappelle que le virus pourrait franchir la frontière aussi vite que les voyageurs.
Le Congo partage plus de mille kilomètres de ligne fluviale et terrestre avec la RDC, ainsi qu’un tissu dense d’échanges familiaux et commerciaux. Une telle porosité place les autorités sanitaires devant un défi majeur : protéger sans entraver cette indispensable circulation.
Alerté dès les premiers cas signalés de l’autre côté, le ministère de la Santé et de la Population a déclenché son dispositif de veille. « Nous avons déjà combattu Ebola, nous savons qu’il faut agir très tôt », rappelle le Dr Jean Claude Emeka.
Plan national de riposte actualisé
Avant même d’enregistrer le moindre cas, Brazzaville a évalué la capacité de réponse du pays. Cet audit rapide a débouché sur la révision du Plan national de préparation et de riposte, document de référence aligné sur les orientations de l’OMS.
Le nouveau texte insiste sur la communication des risques, pierre angulaire de la prévention. Spots radio, courtes vidéos et messages SMS doivent relayer en continu les gestes barrières, tandis que les leaders communautaires sont invités à vulgariser les informations dans les langues vernaculaires.
Deux salles d’isolement ont été réservées au Centre Hospitalier Universitaire et à l’Hôpital militaire. Le service d’ambulance mis à disposition sera exclusivement dédié au transport sécurisé d’éventuels cas, évitant tout contact avec les structures classiques de prise en charge.
Pour soutenir cette campagne, un millier de dépliants, autant d’affiches et sept kakemonos ont déjà rejoint les sites à forte affluence. Les images simples, les numéros verts et les QR codes intégrés facilitent l’accès à des informations actualisées en temps réel.
Surveillance des points d’entrée stratégiques
Maya-Maya, Yoro et le Beach constituent les vigies du pays. Le 23 septembre 2025, une centaine d’agents y ont suivi une session accélérée de détection, soutenue par l’OMS. Prise de température sans contact, fiches de localisation et référent Ebola deviennent la routine.
Christian Voumina, chef d’exploitation de l’aéroport, résume l’état d’esprit : « Prévenir vaut mieux que guérir. Si l’épidémie circule chez le voisin, nous devons bloquer la voie aérienne avant le premier cas ». Selon lui, il s’agit autant de santé publique que de crédibilité nationale.
Sur le fleuve, la surveillance s’intensifie également. Des équipes mixtes santé-police contrôlent les embarcations grâce à des carnets de bord standardisés. Tout passager fébrile est isolé à quai le temps d’un test rapide, puis référé au centre d’isolement si nécessaire.
La frontière terrestre n’est pas en reste. Aux postes de Ngabé et Loukolela, les thermoflash ont été calibrés et les équipes disposent de gants, masques et solutions hydro-alcooliques en stock. Chaque tournée s’achève par un compte-rendu centralisé à la cellule de crise.
Agents de terrain et société mobilisés
Responsable santé à l’aéroport depuis 2018, Emma Gisèle Monka raconte l’effervescence des derniers jours. « Dès l’alerte, nous avons ressorti les protocoles, imprimé des affiches et créé un groupe WhatsApp pour répondre aux questions du personnel », décrit-elle, visiblement rodée à l’exercice.
Les dépliants élaborés avec l’OMS rappellent les symptômes clés : fièvre inexpliquée, saignements, faiblesse inhabituelle. Dix minutes suffisent pour former un agent sur le corridor ; les supervisions ultérieures consolident les acquis. L’objectif affiché est d’obtenir un signalement dans les six heures suivant le doute.
Cette vigilance mobilise également la société civile. Des tradipraticiens de Poto-Poto ont rejoint la campagne, engagés à orienter sans délai vers l’hôpital tout patient suspect. Un relais apprécié, selon le Dr Vincent Dossou Sodjinou, car « la confiance communautaire accélère toujours la réponse ».
Le dispositif englobe aussi un suivi psychologique. Des psychologues volontaires se relaient pour soutenir les agents exposés à la tension permanente. « L’anxiété baisse la vigilance ; être écouté permet de rester performant », explique Marie-Hélène Okouala, coordinatrice du soutien psychosocial.
Bâtir une résilience sanitaire durable
Au delà de l’urgence, les acteurs veulent inscrire ces acquis dans la durée. La coordination multisectorielle, testée pour Ebola, servira de socle à la préparation contre d’autres menaces émergentes, du choléra aux maladies respiratoires, selon les experts du ministère.
Financé en partie par le budget national et des partenaires techniques, le programme inclut la formation continue, la dotation en équipements et la simulation régulière d’incidents. Chaque exercice grandeur nature permet de corriger les maillons faibles avant qu’une crise réelle ne survienne.
« Passer d’une logique de réaction à une culture d’anticipation est notre meilleure assurance-vie collective », conclut le Dr Emeka. La prochaine évaluation indépendante, attendue début 2026, dira jusqu’où ce pari sur la prévention aura consolidé la confiance du public.
Dans les quartiers, des exercices d’évacuation sont programmés avec les comités de parents d’élèves et les conducteurs de taxi-bus. Objectif annoncé : que chaque citoyen sache vers quel centre se tourner et comment signaler un voisin présentant des signes évocateurs.