Une image virale qui bouscule l’opinion
Dans la nuit du 15 mars, la police de Brazzaville a présenté à la presse sept suspects dans l’enquête sur la mort de l’homme d’affaires Alain Obambi. Tous portaient le même maillot rouge de Manchester United, une mise en scène qui, depuis, fait couler beaucoup d’encre.
Partagée par des internautes congolais puis relayée par des médias étrangers, la photo est vite devenue virale. Sur WhatsApp, Facebook et X, les commentaires affluent, oscillant entre humour, incrédulité et interrogations sur l’opportunité d’un uniforme aussi précis pour des présumés criminels.
Questions populaires et témoignages de terrain
« Qui a eu cette idée ? », s’interroge Mireille, vendeuse de téléphones au marché Total. « Peut-être qu’avec les couleurs du FC Kondzo, personne n’aurait remarqué ». Son voisin Auguste, lui, y voit « une stratégie de communication maladroite qui brouille le message sécuritaire ».
Dans les couloirs du Commissariat central, on assure que « l’objectif était simplement d’éviter que les suspects se reconnaissent leurs vêtements d’origine ». Une source policière évoque un « lot de maillots confisqué lors d’une précédente opération », utilisé faute de mieux.
Manchester United malgré lui au centre du débat
Problème : Manchester United est une marque déposée. Très vite, des supporters congolais taguent le club anglais en exigeant des explications. Les cabinets d’avocats spécialisés rappellent que l’usage d’un logo à des fins possiblement diffamatoires peut ouvrir la voie à des poursuites civiles.
Le professeur de droit commercial Jean-Pierre Ngoyi nuance : « Encore faut-il prouver que l’image nuit directement à la réputation du club ». Selon lui, la polémique révèle surtout « le besoin d’un meilleur encadrement de la communication policière pour protéger toutes les parties ».
Contrefaçon, économie parallèle et vie quotidienne
Au-delà de l’aspect juridique, la scène touche un point sensible chez de nombreux Brazzavillois : la difficulté d’accéder à des produits authentiques. Les maillots originaux, vendus autour de 35 000 FCFA, circulent souvent en contrefaçon, alimentation d’une économie parallèle que la police combat régulièrement.
Dans la boutique de sport de la rue Gambetta, Chancel, gérant, raconte avoir vendu cinquante pièces aux policiers en février. « Ils nous ont dit que c’était pour un tournoi interne ». Il affirme posséder les factures et se dit prêt à collaborer si la justice le sollicite.
Position de la justice et appel au respect des droits
De son côté, le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une enquête « exclusive aux faits reprochés aux suspects ». Sur la question des maillots, il renvoie à « d’éventuelles responsabilités disciplinaires » au sein de la hiérarchie policière, rappelant la présomption d’innocence de tous les acteurs.
Les proches d’Alain Obambi, discret entrepreneur de 42 ans, disent vouloir « garder le focus sur la vérité ». L’un de ses frères confie que la famille « ne souhaite pas que la couleur d’un t-shirt détourne l’attention du deuil et des impératifs judiciaires ».
Réseaux sociaux et gestion de l’image publique
Sur les réseaux, l’affaire a pourtant pris une tournure culturelle. Des créateurs de mèmes associent le maillot à des slogans anti-vol, tandis que des influenceurs proposent de racheter l’équipement pour une vente caritative. La plupart des internautes appellent néanmoins à « respecter la dignité des mis en cause ».
Pour l’analyste en communication digitale Prisca Okondo, « l’épisode montre la puissance d’un simple visuel à l’ère du partage instantané ». Elle estime que « les services de sécurité devront intégrer les risques réputationnels dans leurs procédures, sans oublier leur mission première : rassurer la population ».
Enjeux institutionnels et réponses officielles
Derrière la polémique, se dessine donc un débat plus large sur l’image de la police nationale. Depuis plusieurs années, la direction générale investit dans la modernisation de ses équipements et de son dialogue avec les citoyens, notamment par des campagnes de sensibilisation dans les quartiers.
Contactée, l’association Action Droits de l’Homme souligne « l’importance de la présomption d’innocence et du respect de la dignité humaine dans toute présentation de suspects ». Elle salue le fait que « les autorités aient rapidement reconnu la portée de l’image et annoncé des clarifications internes ».
Prochaine étape judiciaire et mémoire collective
À ce stade, aucune date n’a été communiquée pour la première audience. Les sept suspects demeurent en détention préventive et leur dossier est en phase d’instruction. Les enquêteurs poursuivent les auditions, tandis que les réseaux sociaux continuent de scruter chaque déclaration officielle.
Le commissaire divisionnaire Rodrigue Bouity conclut : « Nous entendons les critiques et prendrons les mesures adaptées. Notre priorité reste la manifestation de la vérité dans le respect des droits de chacun ». Un message relayé par la page Facebook de la police, où les réactions se comptent déjà par milliers.
Reste que l’image des fameux maillots rouge vif s’est imprimée dans la mémoire collective. À Brazzaville, on en discute au stade, dans les bus et jusque dans les salons de coiffure. Pour beaucoup, l’épisode rappelle qu’à l’ère du numérique, la forme compte parfois autant que le fond.
Pour la sociologue du sport Arlette Mabiala, « l’affaire rappelle que le football est devenu un langage universel. Lorsqu’il se mêle à la chronique judiciaire, l’émotion dépasse vite le cadre local ».