Une infrastructure vitale pour la transition numérique
À Bacongo, face au camp La Milice, s’élève depuis deux ans un bâtiment blanc aux vitres fumées. Ce Datacenter national, voulu par l’État pour héberger l’ensemble des données publiques et privées du Congo, symbolise la course engagée vers la souveraineté numérique.
Le projet est cofinancé par la Banque africaine de développement et constitue la pierre angulaire du programme gouvernemental Congo Digital 2025. Il doit abriter des salles de serveurs, de contrôle, de conférence ainsi qu’un sous-sol rempli d’onduleurs et de groupes électrogènes redondants.
Un chantier déjà achevé à 95 %
Selon les techniciens chinois et congolais, le gros œuvre, les façades et la climatisation de précision sont déjà installés. Les baies informatiques occupent même la moitié des salles, prêtant au complexe l’allure d’un navire technologique seulement en attente de quelques branchements finaux.
En pourcentage, les ingénieurs évaluent l’avancement à 95 %. Il reste à poser les systèmes de sécurité incendie, quelques câbles de fibre interne et la barrière périmétrique. Des tâches jugées réalisables en quarante-cinq jours, sous réserve d’un financement intégral.
Le point de blocage financier
Depuis quelques mois, les ouvriers réduits à un service de veille regardent les machines dormir. La quote-part finale de l’État, estimée à moins de 10 % du budget global, n’a pas encore été libérée, obligeant l’entreprise Sumec à ralentir puis suspendre le chantier.
Le ministère des Finances indique travailler à l’ajustement du plan de trésorerie, affecté par les fluctuations des cours pétroliers. À en croire un cadre, le versement est prévu « dans le mois », dès que la signature interministérielle aura transité par la Primature.
Sumec brandit la menace du repli
Le 15 octobre, une délégation de Sumec a adressé une mise en garde au ministre Léon Juste Ibombo. Le ton est resté cordial mais ferme : sans règlement rapide, la société envisagera de remobiliser ses équipes sur d’autres contrats africains, laissant le site de Bacongo en stand-by.
« Nous ne voulons pas transformer ce bijou en éléphant blanc », a répété un responsable, rappelant que les matériaux sensibles comme les batteries lithium supportent mal les longues périodes d’inactivité. Pour Sumec, chaque semaine de délai accroît le risque de surcoûts.
La réaction rapide du ministre Léon Juste Ibombo
Dès le lendemain, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique a effectué une visite non annoncée. Devant les caméras locales, il a reconnu un « petit décalage » financier et assuré que le dossier serait transmis au Premier ministre pour arbitrage.
« Nous sommes tous conscients de la valeur stratégique de cette infrastructure. Le gouvernement, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, ne laissera pas ce chantier inachevé », a-t-il déclaré, saluant la patience du partenaire chinois et la confiance de la Banque africaine de développement.
Les assurances de la Banque africaine de développement
Contactée, la BAD confirme suivre le dossier de près. « Nos procédures sont respectées et les décaissements que nous contrôlons sont réalisés », explique un représentant régional, soulignant que l’institution reste disponible pour un accompagnement technique visant à optimiser la gestion budgétaire nationale.
Selon ce dernier, l’interruption temporaire ne remet pas en cause l’échéancier global du projet Congo Digital 2025. La BAD note cependant que plus le gel se prolonge, plus il faudra prévoir de tests additionnels pour garantir la conformité des équipements déjà installés.
Calendrier révisé et engagements fermes
Dans les couloirs du ministère, on évoque désormais une reprise totale des travaux dès la deuxième quinzaine de novembre. Les quarante-cinq jours réclamés par Sumec permettraient alors une inauguration officielle au premier trimestre 2024, date qui coïnciderait avec la Semaine africaine du numérique.
Une cellule mixte, rassemblant ingénieurs, financiers et représentants de la BAD, doit être installée dans les prochains jours pour suivre quotidiennement l’avancement. L’objectif affiché est de sécuriser chaque déboursement et d’éviter tout nouveau ralentissement, même en cas de tensions de trésorerie.
Les spécialistes rappellent toutefois que le facteur climatique, notamment la saison des pluies, pourrait ralentir certaines opérations extérieures comme l’étanchéité du toit et l’aménagement de la voirie interne. Les équipes affirment avoir prévu des bâches et des pompes pour maintenir le rythme.
Parallèlement, un programme de formation de trente jeunes ingénieurs congolais sera lancé en partenariat avec l’Université Marien-Ngouabi afin de garantir la relève.
De fortes retombées économiques attendues
Au-delà du stockage souverain des données, le Datacenter national devrait héberger les plateformes des start-up locales, favoriser l’hébergement cloud régionaux et créer plusieurs centaines d’emplois directs et indirects. Les PME brazzavilloises spécialisées dans la cybersécurité et la maintenance attendent déjà la mise en service.
Le gouvernement table aussi sur la réduction des coûts de connectivité pour les administrations. À terme, certaines applications de santé électronique ou d’état civil numérique seront rapatriées dans ce centre, limitant la dépendance aux serveurs étrangers et renforçant la protection des données des citoyens.
« Une fois opérationnel, ce Datacenter placera le Congo en pole position dans la sous-région », estime le consultant en transformation digitale Cédric Tembet. « Il enverra un signal favorable aux investisseurs qui scrutent la fiabilité des infrastructures avant d’installer leurs services financiers ou de streaming ».
