Le départ d’un gardien de l’olympisme congolais
Le mouvement sportif congolais se réveille orphelin. Jean-Paul Ngaloua, secrétaire général du Comité national olympique et sportif congolais depuis 2009, est décédé le 10 octobre 2025 au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville, à l’âge de 80 ans.
La nouvelle est tombée comme un couperet dans les couloirs des fédérations. Des athlètes aux dirigeants, chacun évoque un homme « toujours fidèle à la parole donnée », selon le président du CNOSC, Raymond Ibata, joint par téléphone.
Une carrière dédiée au service public
Né à Brazzaville le 3 mars 1945, Jean-Paul Ngaloua se forme d’abord à l’Institut national de la jeunesse et des sports avant d’embrasser l’enseignement de l’EPS. Rapidement repéré pour son sens de l’organisation, il est nommé directeur du Stade de la Révolution en 1970.
Sept ans plus tard, le 23 décembre 1977, il devient directeur des Études, équipements et installations sportives au secrétariat général aux Sports. Cette fonction l’amène à sillonner le pays pour suivre la construction des aires de jeu dans les départements, un chantier stratégique pour la pratique de masse.
De Ouenzé à la scène olympique
Entre 1987 et 1991, Jean-Paul Ngaloua troque le survêtement pour l’écharpe tricolore. Élu maire de l’arrondissement de Ouenzé, il met en place des actions de proximité : réhabilitation de plateaux sportifs scolaires, tournois inter-quartiers et soutien logistique aux associations jeunesse.
Ce passage remarqué dans l’administration locale lui vaut une réputation de bâtisseur patient. « Il savait parler aux communautés tout en gardant le cap sur l’intérêt général », rappelle l’ancien conseiller municipal Pierre Okiemba, rencontré devant la mairie historique.
Dix-sept ans à la tête du secrétariat général du CNOSC
En 2009, après le départ de Joseph Mokanda Moramwa, le comité exécutif du CNOSC lui confie le secrétariat général. Le mandat s’annonce vaste : encadrer près d’une cinquantaine de fédérations, coordonner les cycles olympiques et négocier les accompagnements techniques internationaux.
Jean-Paul Ngaloua s’emploie aussitôt à moderniser la gouvernance. Il uniformise les statuts, met en place une base de données des athlètes et obtient, en 2012, la création de la Chambre de conciliation et d’arbitrage, juridiction chargée de régler les litiges sans passer par les tribunaux civils.
La Chambre de conciliation, une avancée majeure
Avant 2012, les conflits opposant clubs et fédérations s’enlisaient. Grâce à la nouvelle instance, plus de 70 dossiers ont été solutionnés en médiation, selon le rapport annuel 2024 du CNOSC. Cette innovation, inspirée du Tribunal arbitral du sport, reste l’une des fiertés de Jean-Paul Ngaloua.
Pour Me Thérèse Nkouka, présidente de la Chambre, « il a su convaincre toutes les parties que le règlement amiable protégeait la carrière des athlètes ». Un consensus rare dans un environnement souvent passionné.
Un mentor toujours disponible
Homme de bureau mais aussi de terrain, Jean-Paul Ngaloua arpentait les stades les week-ends, bloc-notes à la main. Il questionnait les entraîneurs, encourageait les jeunes sprinteurs, rappelait les valeurs de l’olympisme et notait leurs besoins en matériel.
Sa porte demeurait ouverte aux étudiants en sciences du sport. Beaucoup venaient l’écouter raconter l’épopée des Jeux africains de 1965. « Ses anecdotes étaient des leçons d’histoire », confie Nadège Moukala, étudiante de l’ENJS, émue aux larmes.
Une année 2025 endeuillée
Depuis janvier, le monde sportif congolais a déjà perdu plusieurs figures. L’annonce du décès de Jean-Paul Ngaloua sonne comme un rappel de la fragilité des pionniers. Les messages de condoléances affluent des fédérations de handball, d’athlétisme et de judo.
Le ministère des Sports souligne, dans un communiqué, « la loyauté et l’esprit de concorde d’un serviteur de l’État qui a porté haut les couleurs nationales ». Aucune polémique ne vient ternir cet hommage collectif.
Réactions à Brazzaville et Pointe-Noire
À Brazzaville, les drapeaux du siège du CNOSC flottent en berne. Dans les quartiers nord, des groupements d’anciens sportifs organisent des veillées de prière. À Pointe-Noire, le complexe sportif Mbota prévoit une minute de silence avant chaque rencontre du week-end.
L’Union des journalistes sportifs du Congo annonce un numéro spécial retraçant ses principaux combats, tandis que plusieurs clubs invitent leurs licenciés à partager leurs souvenirs sur les réseaux sociaux.
Un héritage tourné vers la jeunesse
La formation et la transmission figuraient au cœur de son action. Initiateur de conférences sur l’olympisme dans les lycées, il plaidait pour un module d’histoire du sport dans les programmes officiels. Son dernier chantier, lancé en mai, portait sur un centre d’archives numériques.
Ce projet, élaboré avec l’Université Marien-Ngouabi, vise à conserver fiches d’athlètes, revues et photographies. « Il nous avait promis d’y consacrer sa retraite », sourit le professeur Isidore Nsoni, coordonnateur scientifique.
Le regard des experts
Pour l’universitaire française Patricia Adam, spécialiste des politiques sportives africaines, « la stabilité institutionnelle qu’il offrait au CNOSC a favorisé l’éclosion de talents, notamment en natation et en karaté ». Elle souligne la diplomatie discrète qui a attiré plusieurs programmes de solidarité olympique au Congo.
De son côté, le statisticien Michel Mouyabi rappelle que, de 2010 à 2024, le nombre de licences sportives est passé de 45 000 à 83 000, croissance qu’il attribue en partie aux campagnes de proximité initiées par le défunt dirigeant.
Préserver la mémoire du bâtisseur
Le CNOSC prépare un recueil d’hommages rassemblant témoignages et photographies, tandis qu’une proposition de baptiser l’auditorium central de Kintélé à son nom circule déjà. Le ministère s’est dit « ouvert à toute initiative pérenne ».
Le président Raymond Ibata assure qu’un fonds de solidarité viendra aider la famille pour les obsèques et soutenir des bourses destinées aux jeunes officiels sportifs, action conforme « à l’esprit de partage qu’aimait Jean-Paul Ngaloua ».
Dernier rendez-vous avec son public
La levée du corps est prévue au funérarium du CHU, suivie d’une messe à la cathédrale Sacré-Cœur. Le convoi rejoindra ensuite le cimetière d’Itatolo. Les fédérations ont invité leurs membres à venir en tenue sportive pour former une haie d’honneur.
La famille, dans un bref communiqué, remercie « tous ceux qui, en pensée ou en prière, les accompagnent ». Elle demande, plutôt que des gerbes, des dons pour un programme d’équipements de proximité qui sera lancé à la mémoire du défunt.
Une empreinte durable sur le sport congolais
Au-delà des statistiques, c’est un style qui disparaît : celui d’un serviteur public attaché à la rigueur, à l’écoute et à la simplicité. Son passage laisse une institution plus structurée et un réseau de disciples convaincus que le sport est d’intérêt général.
La transmission de ses valeurs restera sans doute la meilleure des médailles, conclut l’ancien marathonien Guy Akouala. Les Jeux olympiques et les championnats d’Afrique perdent un ardent défenseur, mais les jeunes gardent l’héritage.
