Des malentendants se lancent dans la myciculture à Brazzaville
Sous le hangar en tôle de la Cité scientifique de Brazzaville, une quinzaine de jeunes malentendants scrutent les sacs de substrat suspendus comme autant de promesses. Le geste est précis, répété, appris il y a peu durant une première session de myciculture.
Cette formation éclair, conduite par la Fondation Challenge Futura de l’ingénieur Tsengué-Tsengué, vise à doter ce public souvent marginalisé de compétences immédiatement valorisables sur le marché local, où la demande en champignons pleurotes progresse depuis plusieurs années dans les hôtels et les ménages.
Pasteurisation précise et gestes sûrs
Le principe est simple : mélanger copeaux de bois, son de blé ou de maïs et mycélium, avant de passer le tout à la pasteurisation. « Le traitement thermique empêche la concurrence des bactéries et garantit un rendement optimal », résume le formateur Dieu-Merci Doubou.
Le jeune technicien, lui-même passionné de biotechnologies, assure que l’absence d’audition n’entrave nullement la précision requise. Au contraire, remarque-t-il, « les stagiaires observent davantage, ils communiquent entre eux par signes et repèrent plus vite la moindre variation de couleur ».
Un modèle rentable pour de futurs micro-entrepreneurs
Pour les apprenants, l’enjeu dépasse la maîtrise d’un cycle de production. Il s’agit d’accéder à une source de revenu stable dans un secteur peu capitalistique. Un sac de substrat coûte environ 500 francs CFA ; les pleurotes récoltés se vendent trois à quatre fois ce prix.
Nathan Kianguébéné, grand sourire et gestes amples, montre son carnet de commandes. Les voisins du quartier Bacongo réservent déjà la prochaine récolte. « Si nous avions plus de matériel, nous triplerions la production », traduit une interprète de la langue des signes venue appuyer le groupe.
Pour l’heure, les stagiaires utilisent des tonneaux recyclés, un brûleur artisanal et des étagères en bambou. Tsengué-Tsengué admet que « professionnaliser l’atelier demandera de 12 à 18 mois d’accompagnement, le temps d’inscrire les jeunes en coopérative et de sécuriser des débouchés réguliers ».
Accompagnement long terme et alignement sur le plan national
L’ingénieur rappelle que sa fondation agit depuis 2007 pour démocratiser les biotechnologies agroalimentaires au Congo-Brazzaville. Elle a déjà formé plus de 500 producteurs, majoritairement des femmes rurales. « Nous adaptons notre pédagogie à chaque public, qu’il soit en situation de handicap ou non », souligne-t-il.
L’initiative rejoint les priorités nationales de diversification économique et d’inclusion. Dans son Plan national de développement, le gouvernement encourage les filières à forte valeur ajoutée agricole susceptibles de réduire les importations alimentaires tout en créant des emplois pour les jeunes urbains.
Les chiffres publiés par le ministère en charge des PME estiment la consommation locale de champignons frais à plus de 900 tonnes par an, alors que la production nationale n’en assure qu’un tiers. Autant dire que le marché reste largement ouvert aux nouveaux venus.
Innovation numérique et débouchés sécurisés
Dans ce contexte, les pleurotes offrent un atout supplémentaire : un cycle court de quatre semaines et une culture hors sol qui s’adapte aux cours arrières comme aux toits-terrasses. Les stagiaires l’ont compris et rêvent déjà d’installer des serres modulaires sur la corniche.
Pour sécuriser les revenus, la Fondation teste un contrat d’achat à prix garanti avec un traiteur de Mfilou. Ce dernier s’engage à prendre 50 kilos par semaine, à condition que la qualité reste constante. Un laboratoire partenaire effectuera des contrôles mycologiques réguliers.
Un partenariat est aussi noué avec une start-up locale qui développe une application mobile de suivi de culture. Les stagiaires pourront photographier leurs sacs, recevoir un diagnostic instantané et partager leurs astuces avec d’autres producteurs connectés, même en zone montagneuse.
Cohésion sociale et soutien institutionnel
Au-delà du volet commercial, le projet mise sur la cohésion sociale. Les séances de formation deviennent des espaces d’échange entre malentendants et entendants bénévoles venus prêter main-forte. Beaucoup découvrent la langue des signes congolaise et sortent avec une sensibilité nouvelle à la question du handicap.
La mairie de Makélékélé suit l’expérience avec attention. Selon un responsable du service social, « nous envisageons d’ouvrir un terrain inoccupé pour que ces jeunes créent leur ferme ». Une subvention pour l’achat d’autoclaves et de climatiseurs est également à l’étude.
Les partenaires financiers ne sont pas loin. Une institution de microfinance a déjà proposé un crédit rotatif à taux préférentiel, conditionné à une formation complémentaire en gestion. Pour l’établissement, le risque est limité : la production se vend localement et se conserve déshydratée.
De Brazzaville à Pointe-Noire, un avenir prometteur
Si le projet aboutit, la Fondation envisage de répliquer la démarche à Pointe-Noire, où les résidus de scieries peuvent fournir un substrat abondant. Le port intéressé par des produits bio pour les navires de croisière offrirait alors un nouveau débouché premium.
Interrogé sur la suite, Dieu-Merci Doubou se veut optimiste : « Nos stagiaires prouvent chaque jour que le handicap n’est pas une barrière mais un moteur d’ingéniosité. L’économie verte aura besoin de leurs talents ». Les sourires masqués de sciure lui donnent raison.
En attendant, chaque pleurote cueilli rappelle qu’un savoir-faire technique peut devenir levier d’inclusion. Au Congo-Brazzaville, la graine d’entreprise déposée dans ces sacs de substrat pourrait bien germer plus vite qu’on ne le croit, à la faveur d’un simple choc de chaleur.
