Dans l’ombre des torchères, la vie sans ampoule
À Tchicanou, bourg vili situé à quarante kilomètres de Pointe-Noire, la nuit commence dès le coucher du soleil. Les lampes à pétrole et les éclats de téléphone servent de bougies, malgré les pipelines et la ligne haute tension qui traversent les vergers.
Au-dessus des cabanes en planches, la flamme permanente d’une torchère rougit le ciel. Sous terre, des câbles d’alimentation serpentent jusqu’à la centrale électrique de Côte-Matève, mais aucun fil ne rejoint les maisons de Florent Makosso, 68 ans, et de ses voisins.
Un riche sous-sol, une couverture encore inégale
Avec 344 000 barils de brut produits chaque jour en 2021, le Congo figure parmi les trois géants pétroliers d’Afrique centrale. Les réserves gazières, estimées à cent milliards de mètres cubes, dessinent un potentiel énergétique salué par les opérateurs internationaux.
Pourtant, à l’échelle nationale, moins de 40 % des citadins et 10 % des habitants ruraux disposent d’une prise fonctionnelle, selon le ministère de l’Énergie. Le contraste est plus vif encore dans les villages riverains des sites d’exploitation où l’électricité reste un luxe.
Témoignages d’un quotidien coûteux
« Nos téléviseurs sont des décorations », soupire Florent Makosso, désignant un vieux poste couvert d’une nappe. Le retraité dépense chaque semaine près de dix mille francs CFA pour le carburant de son groupe électrogène, une somme supérieure au budget nourriture de sa famille.
À Bondi, village voisin survolé par la même ligne haute tension, Roger Dimina calcule qu’allumer une simple ampoule avec un générateur revient trois fois plus cher que le tarif national. « Le courant monte aux plateformes, pas aux cases », résume-t-il, fataliste mais souriant.
Des objectifs gouvernementaux ambitieux
Le ministre de l’Énergie, Émile Ouosso, rappelle que la capacité installée du pays dépasse désormais 1 000 mégawatts grâce aux centrales de Pointe-Noire, Moukoukoulou et Liouesso. « Notre priorité reste l’accès », déclarait-il récemment, fixant 50 % de couverture nationale d’ici 2030.
Selon lui, les excédents budgétaires générés par la hausse des cours du brut en 2022 permettent de relancer des programmes de raccordement villageois. La redevance superficielle versée par les compagnies pétrolières doit également être orientée vers les infrastructures sociales, dont l’électrification décentralisée.
ONG et communautés en première ligne
La Commission justice et paix, organisation proche de l’Église catholique, mène depuis deux ans la campagne « Électricité pour tous ». Son coordinateur adjoint, Brice Makosso, plaide pour que chaque chantier pétrolier s’accompagne d’un micro-réseau desservant les localités riveraines.
« Le gaz brûle jour et nuit, c’est une ressource disponible », insiste-t-il. L’ONG rappelle que l’extension d’un poste de transformation coûte moins qu’un kilomètre de route bitumée. Elle propose la création de comités villageois pour suivre la facturation et éviter les branchements anarchiques.
Premiers chantiers et avenir lumineux?
À Songolo, près de Hinda, un projet pilote financé par le Fonds de développement des services publics teste des panneaux solaires hybrides. Vingt foyers disposent déjà d’une alimentation continue, un laboratoire pour le futur modèle économique des zones éloignées du réseau principal.
La Société nationale d’électricité prévoit par ailleurs de tirer une dérivation moyenne tension depuis la centrale de Côte-Matève vers Tchicanou. Les études d’impact environnemental, lancées en février, doivent aboutir à un appel d’offres avant la fin de l’année, selon une source interne.
Si le calendrier est respecté, les premiers branchements pourraient intervenir en 2025. « Nous voulons allumer la première ampoule symbolique au plus tard pour les fêtes de fin d’année », confie un ingénieur du projet, convaincu que l’acceptation sociale sera au rendez-vous.
Au ministère, on précise que l’électrification rurale ne peut se faire sans la participation des collectivités. Plusieurs mairies étudient déjà la mise en place d’une taxe locale d’éclairage public pour financer l’entretien, tandis que les associations forment des électriciens volontaires.
Sur le terrain, les habitants demeurent prudents mais pas résignés. « Nous gardons nos groupes au cas où », sourit Flodem Tchicaya, avant d’ajouter qu’il rêve d’une coopérative agricole réfrigérée grâce au courant. Ses mangues pourraient ainsi voyager jusqu’aux marchés de Brazzaville.
Les économistes locaux estiment qu’un accès fiable à l’énergie augmenterait de 15 % la valeur ajoutée des chaînes agroalimentaires dans le Kouilou. Le gain serait d’autant plus important que la zone bénéficie déjà de routes asphaltées et d’un port en eau profonde.
Dans ce contexte, l’obscurité persistante des villages côtiers apparaît comme le dernier paradoxe d’un pays exportateur d’énergie. La plupart des habitants se disent cependant confiants, pariant sur une synergie entre État, entreprises et société civile pour allumer durablement leurs lampes.
Les soirs prochains, la flamme de la torchère continuera sans doute de crépiter, mais certains imaginent déjà son reflet sur un écran de télévision allumé.
