Un naufrage au cœur de l’Équateur
Dans la nuit de mardi à mercredi, un bateau motorisé transportant passagers, sacs de manioc, bois et chèvres a chaviré sur la rivière Lulonga, à une quinzaine de kilomètres de Basankusu, dans le nord-ouest de la République démocratique du Congo.
Le bilan provisoire communiqué jeudi par l’administrateur du territoire fait état d’au moins 145 personnes disparues et de 55 rescapés, tous repêchés par des pêcheurs locaux accourus malgré l’obscurité et le courant puissant.
Des opérations de recherche compliquées
Dès l’aube de mercredi, les autorités locales, appuyées par la Croix-Rouge et les Forces navales, ont déployé trois pirogues motorisées pour sonder les eaux boueuses, tandis que des appels à soutien matériel étaient lancés aux commerçants de Basankusu.
Faute de sonar et de projecteurs puissants, les plongeurs improvisent avec des lampes frontales et des filets de pêche. « Nous insistons, mais la visibilité est nulle après deux mètres », confie Jean-Marc Ilunga, coordinateur de la cellule de crise.
Survivants sous le choc
Parmi les survivants, Jeanne Botomboko, vendeuse de poissons, raconte avoir nagé près d’une heure en s’accrochant à un bidon vide. « J’entendais des enfants crier dans le noir, puis plus rien », murmure-t-elle, la voix encore tremblante.
Les rescapés ont été conduits au centre de santé de Basankusu pour des soins et un suivi psychologique. La plupart souffrent d’hypothermie, de contusions et du traumatisme d’avoir perdu proches ou marchandises précieuses.
Un énième accident sur les voies d’eau
Les accidents fluviaux meurtriers ne sont pas nouveaux dans la cuvette congolaise. En octobre dernier, quarante-deux passagers avaient péri sur le fleuve Congo, à mille kilomètres plus au sud, dans des circonstances comparables de surcharge et de navigation nocturne.
Le code de la navigation intérieure limite pourtant à la lumière du jour et exige gilets de sauvetage pour chaque passager. Mais l’application reste inégale, faute de contrôles réguliers et face à l’urgence économique des transporteurs.
Surcharge, la tentation permanente
Selon le chef de port Pierre Mapoko, l’embarcation naufragée, longue de vingt-cinq mètres, était homologuée pour 80 personnes, mais en embarquait plus du double, en plus de cinq tonnes de fret destiné aux marchés de la République du Congo.
« Le propriétaire espérait rentabiliser le trajet unique de la semaine », explique le responsable, évoquant la flambée du carburant, passé de deux-mille-deux-cents à trois-mille francs congolais le litre, comme moteur des excès de chargement.
Difficultés d’accès routier
Le territoire de Basankusu, couvert de forêts et marécages, compte moins de cent kilomètres de routes praticables toute l’année. Les barges sur la Lulonga, puis sur le fleuve Congo, restent donc l’artère vitale pour commerçants et familles.
À la saison des pluies, les pistes s’effondrent et des villages entiers se retrouvent isolés. « Sans le fleuve, nous ne recevons ni médicaments ni sel », rappelle le chef coutumier Mombenga, exhortant l’État à réhabiliter l’axe routier Libala-Basankusu.
Coopération fluviale avec Brazzaville
Plusieurs passagers disparus devaient rejoindre Mbandaka puis traverser vers Brazzaville afin d’écouler du cacao. Les autorités congolaises se coordonnent désormais avec celles de la République du Congo pour signaler tout corps ou débris dérivant vers la frontière commune.
À Brazzaville, la direction générale des Affaires maritimes a mis en alerte ses patrouilleurs. « Nous partageons le même fleuve, la solidarité est naturelle », souligne un communiqué, sans évoquer pour le moment de victimes repêchées côté congolais.
Mesures annoncées par Kinshasa
Le ministre des Transports de la RDC, Marc Ekila, a ordonné une enquête administrative et promis l’envoi de gilets de sauvetage supplémentaires. Il assure qu’un projet de signalisation lumineuse des affluents sera relancé dès la prochaine session budgétaire.
De son côté, l’Assemblée provinciale de l’Équateur prépare une campagne de sensibilisation, avec spots radio et caravane fluviale, pour rappeler l’interdiction de naviguer de nuit et l’obligation de limiter la cargaison. Les chefs religieux seront invités à diffuser les messages après la messe dominicale dans chaque paroisse.
Former et équiper les riverains
L’ONG locale École et Vie réclame des cours de natation et des sessions de premiers secours dans les écoles primaires riveraines. « Savoir flotter trois minutes peut sauver une vie », insiste son coordonnateur, citant l’exemple du Rwanda voisin.
Des kits de bouées artisanales fabriquées avec des bidons recyclés seront distribués dès la semaine prochaine aux villages de la Lulonga, grâce au concours de la Fondation Denis Sassou Nguesso, déjà active sur plusieurs rives transfrontalières, et de formations pratiques animées par les marins-pompiers de Brazzaville.
Un deuil qui interroge l’avenir
Basankusu a décrété trois jours de deuil, les drapeaux en berne côtoyant les chants de prière sur les berges. Les familles se relaient auprès d’un feu symbolique allumé au port, guettant le retour des pirogues de recherche.
À la tombée du soir, seule la lueur des lampes à pétrole rappelle la fragilité des voyages fluviaux. Sur la Lulonga, l’espoir et la prudence devront désormais partager le même sillage pour éviter qu’un tel drame ne se répète.
