Un pont musical entre Tours et Brazzaville
Dans le calme des Ateliers de la Morinerie, à Saint-Pierre-des-Corps près de Tours, l’artiste congolais Djoson Philosophe a posé sa voix le 21 octobre. Autour de lui, les musiciens de reggae The Ligerians accordaient leurs guitares et leurs cuivres pour un titre au parfum de voyage.
La rencontre ne doit rien au hasard. Invité au Festival panafricain de musique 2023 à Brazzaville, le percussionniste français Adrien Garrido, alias Adrien Mbonda, avait découvert l’orchestre Super Nkolo Mboka de Djoson Philosophe. Séduit, il a aussitôt imaginé un projet commun qui ferait résonner la rumba au-delà du fleuve Congo.
Quelques mois plus tard, l’idée s’est matérialisée à Tours. « Nous voulons montrer qu’une chanson peut traverser les frontières sans perdre son âme », confie Adrien Mbonda, baguettes en main, fier de son rôle de trait d’union entre deux scènes qui s’ignoraient encore.
Rumba et patrimoine immatériel mis à l’honneur
Depuis le 14 décembre 2021, la rumba congolaise est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette reconnaissance de l’Unesco a dopé la curiosité des groupes étrangers, explique Djoson Philosophe : « Beaucoup découvrent nos guitares sèches, nos voix, nos percussions. »
Pour The Ligerians, grands habitués du reggae roots, travailler la rumba représentait un défi artistique. Le clavieriste Nico Tumbaco décrit des heures passées à décortiquer les chorus de Franco et les arpèges de Papa Wemba afin d’en saisir la souplesse rythmique sans renoncer à leur couleur jamaïcaine.
« Nous ne voulons pas faire semblant d’être Congolais ; nous voulons dialoguer », renchérit le batteur Mathys Minguete, qui alterne caisse claire reggae et caisse claire rumba, créant une pulsation hybride que le producteur Cyril Solnais qualifie de « piste de danse universelle ».
Le choix symbolique du steel pan
Le véritable fil rouge est le steel pan, instrument national de Trinidad-et-Tobago. Adrien Mbonda, qui en fabrique lui-même, l’a introduit comme une passerelle sonore entre Caraïbes et bassin du Congo. Ses timbres métalliques rappellent la sanza africaine tout en élargissant la palette harmonique.
« Le steel pan chante comme une voix supplémentaire », observe Emaly Loketo, invitée sur les chœurs. Les notes cristallines se faufilent entre guitare rythmique et basse, donnant au morceau un air d’été perpétuel. Le public français, déjà familier du reggae, y retrouve des échos caribéens immédiatement compréhensibles.
Pour Djoson Philosophe, la présence du steel pan porte un message. « Nos musiques partagent une histoire faite de traversées, de brassages et de résistances. À travers cet instrument, on entend la route de l’Atlantique et le retour aux sources africaines. »
Une chanson, deux héritages fusionnés
Le titre « Rumba mokili mobimba » est un collage assumé. D’un côté, on reconnaît la trame de « Rumba na piste », succès de Djoson Philosophe enregistré à Brazzaville. De l’autre, résonnent les accords de « Ebandeli ya mosala » de Kosmos Moutouari, légende de la rumba congolaise.
Au studio, Jako Etutu a re-écrit les parties de guitare afin que les deux thèmes s’imbriquent. Les prises se sont étalées sur deux journées intenses, ponctuées de reprises à la cantine improvisée en coulisses. Entre deux riffs, Djoson confiait sa volonté de « rendre hommage aux anciens tout en parlant aux jeunes ».
Le mixage, finalisé par Cyril Solnais, laisse respirer les voix lingala, tandis que le chant français s’invite par touches pour élargir le public. « C’est de la rumba, mais on entend Tours, Pointe-Noire, Kingston et Port-of-Spain dans la même mesure », résume le technicien, sourire aux lèvres.
Un clip très attendu par les mélomanes
Au-delà de l’audio, le projet se veut visuel. Le clip, tourné entre les studios tourangeaux et les berges de la Loire, montrera danseurs congolais et graffeurs français partageant la même énergie. Quelques images d’archives du concert de Brazzaville du 25 janvier viendront souligner la genèse congolaise.
Selon la planification de la production, la vidéo sera dévoilée simultanément sur les plateformes locales et internationales, du streaming africain aux chaînes spécialisées reggae. Djoson Philosophe promet un lancement festif à Brazzaville et un showcase acoustique à Tours pour remercier les supporters.
Déjà, sur les réseaux, le mot-clé #RumbaMokili enregistre des centaines de mentions. « On sent une attente immense, surtout chez la diaspora congolaise », observe la manageuse du groupe, Safia Nkounkou. Les premiers teasers laissent entendre des percussions qui ondulent comme le fleuve, invitant au voyage.
« La musique est un passeport que personne ne peut confisquer », conclut Djoson Philosophe, visiblement ému par l’accueil réservé à ce pont culturel. De Brazzaville à Tours, la rumba trace donc une nouvelle route, fidèle à ses racines tout en s’ouvrant, mokili mobimba, au monde entier.
